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force que le catholicisme communique à tous les arts qui s’éclairent de sa lumière. Il a des paroles sévères contre cette maudite renaissance, qui est venue émanciper l’esprit humain, et qui a renoué la chaîne des temps, brisée par l’ignorance et la barbarie scolastiques. Certes le moyen âge a sa grandeur, que nous sommes loin de méconnaître. Il a laissé de beaux témoignages de sa foi, d’admirables monumens où le catholicisme a imprimé le cachet de sa force, de sa poésie et de l’infinité de ses espérances. L’église est l’une des plus puissantes institutions que présente l’histoire, et rien n’égale la pompe, la magnificence, la variété et la profondeur des cérémonies et des rites qui traduisent aux yeux les mystères de son dogme. A ne considérer l’office de l’église catholique qu’au point de vue de l’art, il présente un magnifique spectacle, un grand drame plein de péripéties terribles et touchantes, où sont exprimés dans une langue sublime les états les plus changeans et les dispositions les plus diverses de l’âme. Aucune religion ne possède un symbolisme plus riche et plus varié que le catholicisme, aucun culte n’a fait à l’art et au sentiment du beau une plus large part que celui de l’église romaine. L’église a poursuivi pendant seize cents ans un idéal qu’elle n’a pu atteindre, mais qui est le plus grand que puisse se proposer une institution humaine : elle a voulu enfermer la vie dans les profondeurs de sa doctrine, et satisfaire à la fois et toujours aux besoins éternels de l’âme et à ceux de la raison. Elle n’a pu réussir dans sa vaste ambition; mais la lutte a été longue et glorieuse, et si l’église a été vaincue enfin par le libre examen et la pensée humaine, elle a laissé dans l’histoire du monde, qu’elle a gouverné pendant si longtemps, une trace indélébile de sa grandeur et de sa puissante vitalité.

De tous les arts qui ont concouru à l’œuvre de l’église, la musique est celui que le christianisme a soumis le plus fortement à son influence. Il en a fait presque un art nouveau, car il a créé l’harmonie et la division mathématique du temps ou la mesure proportionnelle, qui en est la condition fondamentale. Sur les mélodies simples du chant grégorien sans rhythme, sans accent et sans unité tonale, la fantaisie et l’ignorance des interprètes ont brodé un ensemble d’artifices vocaux qui ont altéré incessamment la forme solennelle de la mélopée ecclésiastique. L’introduction de l’orgue dans les églises, vers le IXe siècle, donne naissance aux premières combinaisons grossières des sons simultanés où l’instinct prépare les élémens de l’harmonie. Après l’orgue viennent les autres instrumens qui pénètrent aussi dans l’église avec les chansons populaires et les paroles profanes qui transforment le chœur des cathédrales gothiques en un véritable théâtre de la foire. Rien n’est plus connu et plus certain que le fait étrange de l’invasion des paroles profanes et souvent obscènes dans les belles cérémonies de l’église catholique. Ce scandale du mauvais goût, qui date du XIIIe siècle, se prolongea jusqu’au milieu du XVIe et provoqua en 1320 la fameuse bulle du pape Jean XXII, Docta sanctorum patram qui ne fit pas cesser le mal. Depuis le concile de Laodicée, celui de Trêves en 1227, jusqu’aux conciles de Bâle et de Trente, l’autorité ecclésiastique ne cessa de proclamer et de dire : Ne in ecclesiis cantilenœ seculares adinisceantur ; mais sa protestation ne fut pas plus efficace dans cet ordre de faits que dans une sphère supé-