Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était pas un philosophe, et il avoue lui-même qu’il avait peu de goût pour la métaphysique ; mais il possédait au plus haut degré et pratiquait merveilleusement la méthode philosophique : il avait cet esprit de réflexion et de généralisation qui, partout dans les faits particuliers, cherche et découvre les lois générales. D’ailleurs, s’il goûtait peu la philosophie savante, il portait en lui-même une philosophie naturelle, non systématique, mais toute vivante, et partout présente dans ses écrits, la philosophie de l’âme, de la dignité humaine, de la liberté. Ce n’est pas faire violence à ses opinions et à ses sentimens que de le réclamer comme un politique spiritualiste et comme un politique philosophe.

Les deux volumes d’écrits posthumes que vient de publier M. de Beaumont, en y joignant une belle et touchante notice, sont du plus vif intérêt ; ils complètent l’idée que l’on se faisait déjà de cet ingénieux et noble esprit, et ils y ajoutent. L’éditeur a fait le choix le plus sévère parmi les papiers de l’auteur, et n’a publié que ce qu’il eût publié lui-même. Dans la correspondance, il s’est contenté, avec une discrétion peut-être excessive, de nous donner les appréciations politiques qui pouvaient avoir un caractère général, et il a réservé pour un autre temps les lettres qui touchent de trop près aux événemens contemporains. Grâce à ce choix scrupuleux, la correspondance plane au-dessus des hommes et des choses dans la pure et libre atmosphère de la philosophie politique : elle semble presque avoir le désintéressement de la science avec la chaleur et le mouvement de la vie. Cette correspondance d’ailleurs, dans ce qu’elle a d’intime et de personnel, est une des lectures les plus attachantes : elle nous procure un plaisir doux, noble, tempéré, non sans mélange de tristesse. En quelques instans, vous y embrassez toute une vie : adolescence, jeunesse, maturité, passent et disparaissent devant vous avec la rapidité de l’éclair ; puis tout à coup cette vie, qui eût pu être pleine de jours, est interrompue, sans qu’on puisse dire pourquoi elle a cessé à tel moment plutôt qu’à tel autre. Cette page est encore imprégnée du parfum de la première jeunesse ; elle est fraîche et riante comme une journée de printemps ; la page suivante est déjà plus réfléchie, mais une certaine ardeur curieuse et intrépide, la recherche du nouveau et de l’inconnu, l’espoir de la renommée, témoignent que le foyer intérieur est plein de flamme et de lumière. Viennent ensuite les désirs plus tempérés, l’amour de l’intérieur, de la douce vie domestique, puis la passion d’agir, de conquérir, de se faire sa place dans la vie réelle, la grande et noble ambition, puis les déceptions, les combats, les tristesses, les chutes, les désespoirs des croyances trompées ; enfin les fruits d’arrière-saison, les retours de bonheur, quelques sourires de la gloire, et, pour couronner tout cela et comme dernier mot de l’énigme, la