Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/108

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La principale erreur des partisans passionnés de la démocratie est de considérer cette forme de société comme un type absolu et idéal qui, une fois réalisé ici-bas, donnerait aux hommes le parfait bonheur. Il n’en est pas ainsi : la démocratie est un fait humain, et, comme tous les faits humains, mélangé de bien et de mal. Il faut voir à la fois l’un et l’autre, afin d’être en mesure d’accroître l’un et de diminuer l’autre. En outre, les choses ne se développent jamais dans la réalité telles que la spéculation pure les a conçues a priori. Les apôtres de la démocratie en 93 voulaient faire une république Spartiate fondée sur la pauvreté, la frugalité et la vertu, et au contraire la société sortie des ruines qu’ils ont faites est une société d’industrie, de bien-être et de luxe. On pourrait trouver d’autres exemples non moins remarquables des démentis donnés par les faits à la théorie. Il y a donc une grande différence entre une société rêvée et une société réalisée ; il ne suffit pas de se demander comment les choses doivent être, il faut voir encore comment elles sont. Les démocrates modernes parlent sans cesse de la foi démocratique, de la religion démocratique. La foi est sans doute une chose excellente dans l’ordre surnaturel, mais ici-bas elle n’est pas trop à sa place. Il ne suffit pas de croire, il faut comprendre. L’action peut avoir besoin d’aveuglement et d’illusion ; mais la science ne se nourrit que de vérité. Tocqueville ne s’est pas contenté de croire à la démocratie, il a voulu la comprendre, et par là il s’est assuré un nom durable dans la philosophie politique.

Que faut-il entendre par démocratie ? Il y a deux faits principaux auxquels on peut ramener la démocratie : l’égalité des conditions et la souveraineté du peuple. Le premier de ces faits constitue la démocratie civile, le second la démocratie politique. Ils peuvent ne pas se rencontrer ensemble, ou se rencontrer dans des proportions inégales. On conçoit une certaine égalité de conditions, sans aucun mélange de souveraineté populaire : c’est ce qui a lieu dans les monarchies asiatiques, où tous sont égaux, excepté un seul, Il y a même eu d’autres états où le peuple était considéré comme souverain, mais où il n’est intervenu qu’une fois pour décerner à un seul le pouvoir absolu, ne se réservant plus rien pour lui-même. Dans certaines sociétés démocratiques, l’égalité des conditions s’unit à l’inégalité politique. Dans d’autres sociétés, il peut y avoir plus d’égalité politique que d’égalité civile. Ainsi la séparation ou la réunion de ces deux faits élémentaires peut donner lieu aux combinaisons les plus différentes ; mais en général ils tendent à se rapprocher l’un de l’autre : l’égalité civile amène l’égalité politique, et réciproquement Or ce progrès a atteint son terme en Amérique : c’est là que vous voyez à la fois une extrême égalité civile (esclavage à part) et une extrême égalité politique. C’est là que la démocratie a atteint