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demandent qu’à l’être, d’autres le seront un jour. J’en citerai principalement trois : la liberté de penser, la liberté de conscience, la liberté de l’industrie.

La liberté de penser a grandi avec la société moderne et avec l’esprit d’égalité ; elle est aujourd’hui un de nos besoins les plus impérieux. Sans doute cette liberté peut souffrir des accidens de la politique, et je ne doute pas que si une société, même démocratique, était privée longtemps de toute liberté publique, elle ne vît à la longue s’altérer et s’éteindre la liberté de la pensée spéculative. Sans doute il y a certaines institutions qui peuvent être mises à l’abri de la discussion par l’inquiétude jalouse de la société et par l’intérêt de la sécurité publique ; mais, à prendre les choses d’une manière générale et dans leur ensemble, on ne peut nier qu’au XVIIe siècle il n’y eût plus de liberté de pensée en Hollande qu’en France, qu’il n’y en ait plus aujourd’hui en Amérique qu’en Russie, et dans la France de nos jours que dans celle du moyen âge. Il est permis de soutenir le mouvement de la terre sans aller en prison comme Galilée, l’infinité du monde sans être brûlé comme Bruno ; on peut être panthéiste et même athée sans craindre le supplice de Michel Servet et de Vanini. M. de Tocqueville, dans une lettre à M. de Corcelles, se plaint « de ce que certains esprits voient dans la liberté illimitée de philosopher contre le catholicisme une compensation suffisante à la perte des autres libertés. » J’avoue que c’est là un vilain sentiment ; mais, sans soutenir que cette liberté puisse tenir lieu de toutes les autres, au moins faut-il reconnaître que c’est une liberté, par conséquent une limite à la toute-puissance de l’état. Sans doute une majorité toute-puissante, comme en Amérique, peut empêcher l’individu de penser ce qui ne lui convient pas ; mais il restera toujours un champ très étendu de pensée libre, et de ce retranchement la liberté pourra toujours faire peu à peu des sorties et prendre pied sur le terrain qui lui est interdit. La liberté de penser, au moins dans l’ordre spéculatif et scientifique, est donc une première limite à l’esprit de tyrannie des démocraties.

Il y a une autre liberté, liée à la précédente, et qui sert également de frein à l’omnipotence démocratique : c’est la liberté religieuse. Or il est juste de remarquer que c’est dans des sociétés démocratiques, en Hollande, en Amérique, que l’on a vu les premiers exemples de la liberté religieuse. La France, qui, depuis le XVIIIe siècle et surtout de nos jours, a les principaux caractères d’une société démocratique, a établi chez elle la liberté religieuse, et c’est une des conquêtes de 89 auxquelles elle est le plus attachée. On peut discuter sur le plus ou le moins, trouver que la liberté de prosélytisme n’est pas assez facilitée, on peut enfin s’inquiéter d’avance pour les cultes futurs ; mais quant aux points les plus essentiels de la liberté religieuse,