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on ne peut nier qu’ils ne soient solidement garantis. Enfin, s’il y a eu lieu à de graves discussions sur les rapports de l’église et de l’état, il n’y en a pas sur l’indépendance de la conscience. C’est là, il faut le dire, la plus grande victoire des temps modernes : « Nous sommes ici, vous et moi, disait naguère M. Guizot au père Lacordaire, les preuves vivantes et les heureux témoins du sublime progrès qui s’est accompli parmi nous dans l’intelligence et le respect de la justice, de la conscience, des droits, des lois divines, si longtemps méconnues, qui règlent les devoirs mutuels des hommes, quand il s’agit de Dieu et de la foi en Dieu, Personne aujourd’hui ne frappe plus et n’est plus frappé au nom de Dieu ; personne ne prétend plus à usurper les droits et à devancer les arrêts du souverain juge. »

Il est enfin une troisième liberté qui tend à grandir de plus en plus : c’est la liberté industrielle. Ici, à la vérité, je me rencontre précisément sur le terrain où M. de Tocqueville croit sentir le plus clairement la main toute-puissante de l’état. — Le progrès de l’industrie, dit-il, amène le développement de la puissance publique de trois manières : d’abord l’industrie, en réunissant un grand nombre d’hommes dans des cités populeuses, appelle des lois de police, une surveillance compliquée et coûteuse, la crainte des révolutions et par conséquent l’augmentation de la force publique ; en second lieu, un pays où l’industrie prospère a besoin de routes, de ponts, de ports, de canaux : de là un immense déploiement des travaux publics, et par suite de la puissance de l’état. En outre, dans un pays industriel, l’état lui-même se fait industriel et tend à devenir le chef de toutes les industries. Les industries ne vivent que d’associations, et l’état surveille et contrôle toutes les associations. — Tout cela est vrai, parfaitement observé, et les conséquences de cet état de choses ont été cent fois signalées par les économistes. Et cependant on peut affirmer que, toute proportion gardée, il y a aujourd’hui infiniment plus de liberté industrielle qu’il n’y en avait avant 1789. C’est ce qu’attestent les plus fervens défenseurs de la liberté du travail, les plus énergiques adversaires de l’intervention de l’état dans l’industrie[1]. Que l’on compare le régime actuel au régime de Colbert, qui a duré, à peu près sans changement, jusqu’à la révolution, et l’on verra à quel point l’industrie était asservie, non-seulement par les corporations, mais par les règlemens de l’administration centrale[2]. Ces règlemens déterminaient la longueur et la largeur des étoffes, les dimensions des lisières, le nombre des fils de la chaîne, la qualité des matières premières et le mode de

  1. Voyez Ch. Dunoyer, Liberté du Travail, l. IV, ch. 7 et 8.
  2. Voyez l’intéressant livre de M. Levassour sur l’Histoire des classes ouvrières, ouvrage couronné par l’Institut.