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L’INSURRECTION CHINOISE.

du gouvernement, et l’empereur Young-tching la proscrivit par un édit très sévère. À partir de ce moment, le nombre de ses adhérens s’accrut avec une rapidité extrême ; ils se répandirent sur tout le territoire de l’empire, et au commencement de ce siècle, pendant les premières années du règne de Kia-king, ils allumèrent la révolte dans cinq provinces : le Se-tchouen, le Kan-sou, le Chen-si, le Hou-pé et le Hou-nan. Ce ne fut pas sans peine que le gouvernement vint à bout d’étouffer ce mouvement, qui avait pris très promptement les proportions d’une guerre civile. Il dut, avant d’y réussir, le combattre plusieurs années. À la suite d’une semblable lutte, le gouvernement ne négligea aucun moyen de détruire les restes de cette redoutable association, et cependant la puissance ou tout au moins l’audace des membres du Nénuphar blanc ne parut point abattue par leur défaite. Elle se manifesta de nouveau, en 1812, par un complot qui eût rendu tout d’un coup à la Chine son indépendance, si un concours de circonstances fort heureuses pour les Tsing[1] ne l’eût fait échouer. Les conjurés avaient médité l’assassinat de l’empereur Kia-king ; une embuscade lui avait été tendue sur la route qu’il devait suivre pour revenir du Jéhol, où il était allé passer la saison chaude. Le jour même où il serait tombé sous les coups vengeurs de quelques membres du Nénuphar, leurs associés devaient s’emparer par la force du palais impérial à Pékin et faire éclater un soulèvement général dans le Ho-nan[2]. Des pluies inusitées à cette époque de l’année retardèrent le retour de l’empereur ; le courage personnel et la présence d’esprit du prince Min-ning, son second fils et successeur, sauvèrent le palais impérial, que soixante-dix conjurés avaient attaqué, et la vigilance du gouverneur du Ho-nan déjoua les projets des conspirateurs de cette province. Cette tentative audacieuse de l’association du Nénuphar blanc fut fatale aux autres sociétés secrètes, à celles même qui n’avaient aucun but politique. La haine soupçonneuse de Kia-king[3] les poursuivit toutes impitoyablement, elle n’épargna même pas les catholiques, et néanmoins la vengeance impériale ne parvint qu’au prix de dix années d’efforts à l’entière destruction du Pi-lin-kiaou. On croit que, vers la fin du règne du tyran, les restes de cette société se fondirent dans celle de la Triade.

  1. C’est le nom adopté par la dynastie actuelle ; le caractère qui la désigne signifie pur en chinois.
  2. Une des provinces centrales de la Chine ; elle a Kaï-foung-fou pour capitale, et un peu plus de 23 millions d’habitans.
  3. Kia-king fut le cinquième empereur de la dynastie actuelle (celle des Tsing). Il régna vingt-six ans. Ce fut un prince dissolu et superstitieux. De nombreux troubles eurent lieu sous son règne. Il persécuta les chrétiens.