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cachet d’inviolabilité : chargé, disait-on, de porter la parole au nom de la société, il lui faut plus d’autorité qu’à la défense dans l’œuvre de la justice, où il représente des intérêts d’un ordre supérieur. Cette prétention était de nature à émouvoir le barreau ; il la combattit aussitôt qu’elle se manifesta ouvertement, et opposa ses droits à ceux de l’accusation avec une certaine vigueur.

Aujourd’hui l’incident judiciaire est vidé, mais l’opinion publique est restée saisie de la question. Dans la période de calme qui a suivi l’orage, il était bon qu’une voix autorisée se fît entendre ; un des membres les plus éminens du barreau français, M. Berryer, a pris la parole et donné son opinion. Il a vu un danger, et un danger des plus graves, dans la manière dont on entendait envisager les rapports du ministère public et du barreau : il a voulu relever le barreau, nous ne dirons pas à ses propres yeux, cela était inutile, mais aux yeux de la magistrature et du public, et il l’a fait avec un grand éclat de langage, une grande richesse d’aperçus. La publication de ce rapide écrit de M. Berryer, qui sert d’introduction à la savante monographie sur le même sujet d’un auteur qui a modestement gardé l’anonyme, a fait sensation en France et ailleurs ; on a compris que mesurer les droits de l’accusation et ceux de la défense, c’était en définitive mettre en présence l’individu et la société, la liberté de chacun et la sécurité de tous. Or les problèmes de ce genre ne connaissent point de frontières ; ils intéressent au même degré tous les citoyens, tous les états et tous les peuples, ils auront toujours le privilège de frapper vivement les esprits par la vertu de cette rapide intuition qui voit le péril pour tous là où le droit d’un seul est contestable ou contesté.

Nous avons pensé qu’il n’était point inutile de ramener un moment l’attention sur un débat qui veut une solution, et que, même après ce qui a été dit et si bien dit, il nous serait encore permis d’insister sur un point d’une importance particulière, et qui peut-être n’a pas été mis suffisamment en relief. — Le droit de la défense, a-t-on dit, doit être égal à celui de l’accusation ; devant les tribunaux de répression, le ministère public et l’avocat doivent être placés au même niveau, sur le même terrain. — Soit ; mais ce droit de la défense, où le prenez-vous ? ce noble ministère de l’avocat, quelle en est la source ? Descend-il des faveurs de la loi ? Alors, pour le définir, il suffit de consulter les textes ; c’est l’œuvre du jurisconsulte. — Au contraire, faut-il, pour le connaître, remonter à ces grands principes qui nous régissent parfois sans être inscrits dans nos codes ? C’est là plutôt l’œuvre du publiciste, et si elle est plus difficile, en revanche elle ouvre à la question des aspects infiniment plus larges, elle peut conduire à une solution beaucoup plus radicale,