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qu’il a toujours faits pour échapper à l’action des gouvernemens et se soustraire à leurs séductions comme à leurs violences.

En France, les destinées du barreau ont été fort diverses. Si la Gaule, au dire de Juvénal, était la pépinière des avocats, si elle forma à l’éloquence le peuple naissant de l’Angleterre,

Gallia causidicos docuit facunda Britannos,


sa faconde, rectifiée par l’influence romaine, dut singulièrement se calmer après l’invasion des peuples du Nord et sous la compression féodale. Depuis quelques années, on a cherché à pénétrer les ténèbres qui couvrent les premiers siècles de notre histoire. Nous ne sachons pas que l’on ait encore rien découvert d’intéressant sur le barreau français. Le barreau pouvait-il être quelque chose quand la justice n’était rien ? Quelle aurait été la source de ses lumières, quel eût été le secret de sa puissance dans un temps où, comme on l’a si bien dit, le droit de la force avait remplacé la force du droit ? Il existait cependant des avocats sous la féodalité. Plusieurs documens en parlent, mais sans donner aucune idée du rôle qui leur était réservé dans ce qui pouvait ressembler alors à des tribunaux. Lorsque saint Louis se fit le grand justicier de son petit royaume, avec lui se réveilla le droit de la défense. Au XVe siècle, avec les parlemens, le barreau a reconquis son prestige, et déjà son influence est manifeste dans les choses qui touchent aux libertés publiques. Aux états de 1484, on voit figurer un certain nombre d’avocats ; ce sont eux en grande partie qui posèrent les premiers jalons des réformes que sollicitait déjà le pays, et qu’il était réservé aux cahiers de 1789 de reproduire presque littéralement. — On pourrait croire que la monarchie absolue ne fut pas moins funeste au barreau qu’aux autres institutions libérales du pays : cela ne serait pas exact. Certes les beaux jours de la défense ne furent point de cette époque. On frémit encore à l’idée qu’il suffisait, pour être condamné, d’être véhémentement soupçonné, et que ces terribles soupçons résultaient uniquement pour le juge de la procédure secrète et des interrogatoires de la torture. Néanmoins il y aurait injustice à dire que le barreau n’eût pas alors une certaine indépendance. Dans la sphère où il lui était donné d’agir, c’est-à-dire dans la discussion des affaires civiles, il avait une grande latitude. Il en profita pour reconstituer sa discipline.

Dès le XVIIe siècle, le barreau français jouissait de ses franchises et ne relevait que de lui-même. Comment donc s’opéra ce miracle, et, lorsque tout fléchissait sous la main du pouvoir, à quelles circonstances heureuses le barreau dut-il de conserver sa liberté ? Il le