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préoccupé l’assemblée constituante. Quelle était sa crainte ? C’est que l’action du ministère public ne devînt oppressive pour les citoyens. Il lui semblait que la liberté individuelle devait passer avant tout et ne pouvait être environnée de trop de garanties. Aussi rechercha-t-on longtemps quelle était la source de cette fonction du ministère public et par qui serait nommé le magistrat chargé de la remplir. Pour les uns, la source de cette fonction était dans le mandat populaire, le droit d’accusation étant un droit naturel pour tout citoyen menacé, et ce droit ne pouvant être transmis que par délégation. Le ministère public devait donc être désigné par les citoyens eux-mêmes. D’autres pensaient que le ministère public était, avant tout, chargé de faire exécuter la loi pénale et que ses fonctions découlaient du pouvoir exécutif, que c’était donc au chef de l’état que revenait sa nomination. Ce fut la première opinion qui l’emporta : les officiers du ministère public ou accusateurs publics, comme tous les autres magistrats, furent soumis à l’élection. Aujourd’hui et depuis la constitution de l’an vin, tous les magistrats sans exception sont à la nomination du souverain. Cette investiture a-t-elle changé les conditions dans lesquelles doivent s’exercer les fonctions du ministère public ? Nullement ; peu importe l’origine de la fonction : le but qu’elle se propose au point de vue pénal, c’est la répression des délits et des crimes. Ce but est poursuivi dans l’intérêt de tous les citoyens, cela n’est pas douteux ; mais lorsque dans l’accomplissement de sa mission le ministère public rencontre les membres isolés de la société, le droit de chacun s’affirme hautement, et ce droit, c’est de n’être pas arrêté ou poursuivi injustement, c’est de se défendre contre l’accusation par tous les moyens que Dieu a donnés à l’homme : ce droit naturel est imprescriptible et sacré. Il n’est point entré dans la pensée de l’assemblée constituante d’accorder la prédominance à l’accusation sur la défense. « Comment, disait Bergasse au nom du comité de constitution, comment, par l’institution même des formes destinées à procurer la conviction des coupables, parviendrez-vous à faire naître la confiance dans le cœur de l’homme injustement accusé ? La confiance naîtra lorsque la loi permettra que l’accusé fasse autant de pas pour se disculper qu’on en fera contre lui pour prouver qu’il est coupable ; la confiance naîtra, si le magistrat qui applique la loi est distingué du magistrat qui met sous la puissance de la loi, c’est-à-dire du magistrat qui décrète l’accusé. Tant que le magistrat qui décrète sera le même que celui qui juge, vous aurez toujours à craindre que, s’il a décrété sur de faux soupçons, son amour-propre ou sa prévention ne le porte à justifier par une condamnation inique un décret injustement lancé. »

Telle était la pensée du comité de constitution, telle fut aussi