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Que la partie publique comparaisse devant le tribunal comme toute autre partie autrement, dans des temps moins heureux, sous un gouvernement moins ferme, le procureur impérial serait un petit tyran qui ferait trembler toute la cité. » Et le compte-rendu de la séance du conseil d’état ajoute : « Son altesse sérénissime voit avec plaisir que son opinion sera consignée au procès-verbal. Du moins on se souviendra qu’elle a combattu un système qu’elle croit désastreux. » Ce système ne fut point admis en effet, et le procureur impérial est resté, sous le code d’instruction criminelle, partie poursuivante, adversaire du prévenu. Devant le tribunal, il doit comparaître comme toute autre partie, selon l’expression de Cambacérès, faire ses preuves et justifier sa demande.

C’est dans ces conditions seulement que la lutte peut s’engager à armes égales avec le défenseur de l’inculpé. À côté de l’instruction, à laquelle l’avocat n’assiste pas, a été placé le débat public ; c’est au grand jour de l’audience que les faits sont examinés, constatés, débattus. Est-il arrivé à l’instruction d’aller trop loin, d’exercer une trop grande pression sur un esprit faible, et d’obtenir des déclarations qui n’aient pas été librement faites : tout cela, l’avocat aura le droit de le dire devant le juge : il pourra blâmer ce qui lui paraîtra abusif. Pourquoi n’aurait-il pas la même latitude vis-à-vis de son adversaire naturel, le ministère public, chargé de soutenir l’accusation sortie du travail de l’instruction même ? C’est ce que demande M. Berryer. Pour lui, la lutte cesserait d’être égale si l’avocat avait à se préoccuper à chaque parole des susceptibilités, parfois très délicates, qu’elle pourrait éveiller dans l’organe de Y accusation. « Et ce que la magistrature gagnerait, selon lui, par une déférence excessive envers l’organe du ministère public serait loin de compenser ce que la justice perdrait à l’absence d’une défense libre. » — Dans un procès célèbre dont le souvenir est resté au barreau, et qui fit naître dans l’opinion publique des impressions très diverses, on a pu voir comment la défense entendait user de ses droits vis-à-vis de l’instruction et du ministère public, et ses paroles n’ont été l’objet d’aucun blâme, d’aucune observation même, de la part de la magistrature. Un jeune homme appartenant à une bonne famille, fils d’un banquier, était accusé de complicité dans l’assassinat de son père. À l’audience, on lui opposait des aveux consignés par l’instruction. Il déniait ces aveux et soutenait qu’ils lui avaient été arrachés par les souffrances de la prison, par la durée du secret, par les obsessions de la police. Le jury était là ; il s’agissait de la peine capitale. Il fallait que la vérité éclatât ; il fallait qu’on sût ce qui s’était passé dans la prison. La défense voulait tout dire ; mais pour tout dire il lui fallait sa liberté complète, et