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magistrats de l’époque. Ce sont des magistrats et non des avocats qui ont écrit tous ces panégyriques du barreau au dernier siècle. Sous le premier empire, qui donc élevait le barreau à la hauteur d’une espèce de divinité ? Le président Henrion de Pansey. Avec la magistrature et le barreau, c’est-à-dire avec des hommes honnêtes, éclairés, résolus à défendre le droit, que peut-on craindre dans les plus mauvais jours ? Dans les conflits de la vie publique et privée, est-ce que tout en définitive n’aboutit pas à l’audience des tribunaux ? On a dit depuis 1789 : « l’église et l’état, » et l’expérience a plusieurs fois démontré, que la séparation des deux pouvoirs était tout à la fois un grand principe de morale et une sage mesure d’application. On doit dire avec non moins de raison : « la justice et l’état ; » si les gouvernemens passent, la justice reste et parfois elle reste seule. Une des conditions de sa force est dans la popularité dont elle jouit, et pour demeurer populaire, la justice doit planer au-dessus des passions qui s’agitent autour d’elle sans les partager. L’assemblée constituante l’avait si bien compris qu’elle avait laissé au jury, c’est-à-dire au jugement du pays lui-même, tout ce qui de près ou de loin touchait au brûlant domaine de la politique ; aussi la magistrature française a-t-elle vu plus d’une fois le flot de l’émeute s’arrêter devant elle. En pleine révolution, au bruit de la fusillade, les magistrats sont restés sur leur siège, rendant paisiblement leurs arrêts : la liberté survivait dans la justice alors qu’elle agonisait partout ailleurs. La justice était debout pour comprimer l’émeute avec tous ses désordres, pour défendre la propriété menacée, et elle l’a défendue parfois, il faut le dire, avec un certain courage. Qui n’a présente encore à l’esprit cette audience émouvante des premiers jours de 1852, où le droit et la force étaient en lutte dans une question de propriété ? Deux de nos plus grands maîtres, Paillet et Berryer, venaient d’affirmer hautement le droit méconnu, attaqué. À cette audience étaient réunis des jurisconsultes blanchis sous les ans et l’étude, étonnés, effrayés de cet audacieux défi porté à la loi, des avocats, d’anciens magistrats ; chacun est muet, attentif. L’éloquence des défenseurs a fait brèche et mis l’attaque en déroute. L’auditoire est brûlant, transporté ; seuls, les magistrats ont su garder l’impassibilité de la loi. Leur jugement est attendu avec une émotion cruelle. Ce jugement est bref comme un oracle, mais il, rend un éclatant hommage au droit menacé. Un même cri sort de toutes les poitrines : Il y a encore des juges à Paris ! Ce jour-là, la magistrature française venait de montrer ce qu’elle peut faire dans les temps les plus difficiles ; mais elle dut comprendre aussi ce qu’était dans ces temps-là pour elle la puissante solidarité du barreau.

On le voit donc, lorsque le barreau parle de ses franchises, il ne