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liser dans le Kouang-tong ; peu s’en fallut que toute la partie orientale de la province ne se soulevât. Des membres de la Triade étaient maîtres de la plupart des villes du populeux district de Tchaou-tchaou-fou[1], et les troupes envoyées contre eux avaient été repoussées avec perte. Dans cette extrémité fâcheuse, le vice-roi fut obligé de s’abaisser jusqu’à demander secours aux barbares. Il adressa une supplique à sir John Davis, gouverneur de Hong-kong[2]. Ce dernier connaissait d’ailleurs par sa propre expérience les funestes effets de l’influence exercée par la Triade ; il savait que cette société possédait une loge à Hong-kong, et il l’avait proscrite du territoire de la colonie par une ordonnance très sévère. Aux termes de cette ordonnance, les Chinois originaires de Hong-kong et convaincus de faire partie de la Triade devaient être punis de trois ans de prison, marqués d’un fer rouge à la joue droite, comme les déserteurs militaires, et expulsés, à leur sortie de prison, du territoire de l’île. Vers le milieu de 1853, la Triade fit d’énergiques tentatives dans la province du Fo-kien ; deux des cinq ports ouverts au commerce étranger, Amoy et Chang-haï, tombèrent entre ses mains ; il fallut le concours énergique de nos marins pour l’expulser de cette dernière ville[3].

Ce rapide historique des progrès de la Triade serait incomplet, si l’on ne disait un mot de l’influence terrible et secrète qu’elle exerce parmi les populations des colonies chinoises des détroits, à Singapour, Siam et Malacca. C’est à un négociant malais de Singapour, M. Abdullah, que l’on doit les renseignemens les plus complets que l’on possède sur les redoutables rites accomplis par les membres de la société. Caché par un de ses amis chinois, membre influent de l’association, derrière un rideau qui le séparait de la salle où avaient lieu ces mystérieuses cérémonies, il a été témoin de la réception de plusieurs membres et de la condamnation à mort d’un malheureux, traîné de force devant l’impitoyable assemblée ; il a entendu les néophytes prononcer devant le dieu de la Tirade (Koanti, le dieu de la guerre) les trente-six formules de serment qui sont détermi-

  1. Dans la partie septentrionale de la province ; pays très pittoresque, mines de houille.
  2. Hong-kong est, on le sait, une petite île située à l’embouchure de la rivière de Canton, à vingt-cinq lieues environ au sud de cette ville et à quinze lieues de Macao. Elle a été cédée aux Anglais par le gouvernement chinois à la suite des événemens de 1842. Elle renferme aujourd’hui plus de 60 000 habitans, dont la plupart sont Chinois. Hong-kong possède un port magnifique ; mais sa capitale est mal exposée et subit toutes les pernicieuses influences du climat de la Chine méridionale. Le port de Kaou-long, qui vient d’être cédé aux Anglais, est situé sur le continent. Ce n’est, à proprement parler, qu’une des anses de la vaste rade de Hong-kong.
  3. Les insurgés qui s’étaient emparés de Amoy et de Chang-hai appartenaient à la société du couteau (Siaou-taou-houy), qui n’est elle-même, suivant les informations qu’on a recueillies, qu’une des branches de la Triade.