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se réjouiraient, si un musicien leur faisait entendre les accords les plus exquis.

De tous les portraits de Philippe IV, le plus vanté est celui qui représente le roi de profil, revêtu d’une cuirasse, enlevant un cheval andalou et justifiant le titre de premier cavalier d’Espagne que les courtisans lui avaient décerné. Ce portrait mérite sa réputation ; mais j’avoue qu’il fait sur moi beaucoup moins d’impression que celui du comte-duc Olivarès. On n’en a point jugé autrement à Madrid, puisque dans le Salon d’Isabelle, qui est pour le musée ce que la Tribune est pour le Palais-Vieux de Florence, on n’a pas osé, malgré les conseils de la flatterie, placer Philippe IV comme le chef-d’œuvre de Velasquez : on y a mis Olivarès. Du reste, quel que fût l’attachement du peintre pour son royal ami (si toutefois il est votre ami celui qui est votre maître), il ne professait pas une moindre reconnaissance envers le ministre qui l’avait présenté au roi, et qui demeura son appui tant qu’il fut au pouvoir. Olivarès, sans être un grand homme, offrait assurément un modèle plus digne d’inspirer un artiste.

Il est porté par un andalou bai-brun, puissant cheval de bataille, comme on les aimait encore à cette époque. Le cheval, vu en raccourci, se cabre et fuit en présentant la croupe au spectateur. Le duc présente le dos aussi, mais de trois quarts, tandis que sa tête se retourne par un mouvement hautain ou plutôt héroïque, et montre un visage habitué à commander. Il semble marcher en avant de son armée, regarder si ses soldats vont à l’assaut avec lui et leur désigner l’ennemi. Un fossé en talus annonce en effet une place de guerre, et le comte étend son bâton de général avec un geste d’empereur romain. Son attitude est si fière, son expression si calme, son œil si impérieux, sans dureté, il est enlevé par un élan si grandiose que le groupe paraît colossal et prêt à être coulé en bronze. Les vêtemens eux-mêmes ont cette harmonie muette que notre personnalité communique aux objets qui nous touchent. Ils sont d’un homme de guerre ; les couleurs en ont été adoucies, l’or des harnais éteint, le ton de l’écharpe atténué, et cependant tout est en pleine lumière, tout ressort avec un merveilleux relief. Le paysage est d’une simplicité antique : un tronc de peuplier blanc, quelques feuilles qui s’agitent au sommet du cadre, des collines dont les teintes bleues se fondent avec le ciel. Mais on se sent en rase campagne, on respire un air véritable, on entend le souffle de la brise, on subit je ne sais quelle étreinte de la nature qui vous transporte loin des villes et des musées. Entre ce cavalier et nous, il y a une atmosphère réelle, palpable, lumineuse, qui l’entoure, l’éclairé, le vivifie. « Velasquez sait peindre l’air, » disait Moratin. Ce n’est point une phrase, c’est l’expression la plus juste de la puissance du peintre et de l’effet que