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en copient les reflets. Velasquez ne voit que les apparences réelles. Si ses chairs sont blanches, c’est parce qu’elles se pénètrent de la blancheur du jour ; ce n’est pas le sang qui les anime, c’est la lumière qui se masse ou se joue sur l’épiderme. Il ne cherche ni le clair-obscur ni les simplifications ; rien ne sera sous-entendu ; tout aura sa place, sa valeur, sa clarté, comme si le modèle posait au milieu d’une plaine. L’air lui-même, qui est incolore, l’air sera peint, et son épaisseur transparente, que la science seule sait rendre palpable, l’art la fera sentir. Jamais le problème de l’imitation n’a été posé avec autant d’audace.

Ce système devrait conduire l’artiste à laisser aux vêtemens et aux accessoires leur ton le plus vif, pour ne pas dire le plus violent. Ne prodiguera-t-il pas le rouge, le bleu, le jaune ? Ne cherchera-t-il pas des alliances éclatantes ou des oppositions ? Son génie l’inspirera mieux, et lui fera découvrir que ce n’est ni le nombre ni le fracas des couleurs qui constitue le coloriste. Il préférera les tons neutres, le blanc, le gris, le brun, le jaune pâle ; il pénétrera avec un instinct rare leurs propriétés et leurs rapports ; il tirera de leurs combinaisons des reliefs surprenans, une vigueur pleine de charme, des harmonies claires, gaies, chantantes. Coloriste avec peu de bruit, fleuri à l’aide de couleurs austères, brillant à l’aide de teintes tranquilles, c’est dans la gamme fraternelle des tons et l’exquise intelligence de leurs valeurs qu’est le secret de sa puissance. Aucun peintre n’a employé moins de couleurs que lui. Dans tel tableau, vous apercevrez à peine un peu de rouge, dans tel autre un ruban rose, ici une plume violette que la pluie a fait passer, là une frange d’or bien assombrie. À peine si quelques tons plus vifs rehaussent la composition sans l’étendre, la réveillent sans l’écraser, et mettent l’accent sur une partie du tableau sans nuire aux parties voisines. Je comparerais le pinceau de Velasquez à un grand seigneur qui, dans sa conduite, dans ses gestes, dans ses paroles, garde une mesure parfaite, un tact plein de dignité, et s’annonce par je ne sais quel parfum supérieur. Il hait les cris, évite les éclats, il craint même l’éloquence, qui dérangerait sa tenue et l’harmonie générale de sa personne. En effet, Murillo, placé à côté de Velasquez, Murillo, malgré ses qualités de coloriste et son charme, est épais, violent : son pinceau paraît roturier.

Velasquez en toute circonstance a l’aversion des couleurs qui frappent trop vivement la vue ; il écarte les ressources les plus légitimes de la peinture. Que l’on considère les accessoires qui entourent l’infante Marguerite ! L’infante est en blanc avec des rubans rouges, le tapis est rouge, les rideaux sont rouges, le fond de la salle est rouge. Comment ne pas développer librement de telles harmonies ?