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se pendit dans son palais après avoir poignardé sa fille. Lorsqu’à la suite des sanglans événemens dont cette catastrophe fut le signal, Tien-tsong, le chef de la dynastie mandchoue des Tsing, se fut assis sur le trône impérial, les provinces méridionales se soulevèrent contre le nouveau pouvoir. En 1647, Thomas-tchéou, vice-roi du Kouang-si, et Luc-siu, général de la même province, tous deux chrétiens, proclamèrent empereur le prince Jun-lié, fils de Tsoung-tching, et relevèrent l’étendard de la légitimité. Le Kiang-si, le Ho-nan, le Fo-kien, se joignirent à eux ; les troupes tartares envoyées pour réduire l’insurrection furent repoussées ; il y eut en Chine deux trônes et deux empereurs. Au milieu de ces guerres civiles, les jésuites n’avaient pris parti ni pour l’ancienne ni pour la nouvelle dynastie ; pendant que le père Shaal était comblé d’honneurs dans le palais de Chun-tchi, fils et successeur du conquérant mandchou, les pères André Coffler et Michel Boym étaient en grande faveur à la cour de Jun-lié. Le grand colao ou premier ministre de ce prince, dont Coffler avait acquis toute la confiance, l’introduisait auprès de l’impératrice, qui recevait bientôt le baptême avec le nom chrétien d’Hélène. Elle donna peu après le jour à un fils qui, avec l’assentiment de l’empereur, fut baptisé sous le nom de Constantin[1]. Ces événemens, qui paraissaient destinés à ouvrir en Chine une ère de prospérité au christianisme, ne devaient cependant pas porter leurs fruits. Impatient des succès d’un rival qui retenait en son pouvoir près de la moitié du territoire de l’empire, Chun-tchi marcha contre lui avec ses Tartares. La fidélité des troupes de Jun-lié ne put tenir contre l’impétuosité de ces hordes sauvages, qui ne s’étaient point encore amollies, comme elles le sont aujourd’hui, au contact de la civilisation chinoise. L’héritier des Ming vit, malgré ses héroïques efforts, son armée se débander et fuir. Il fut pris les armes à la main et massacré avec son jeune fils. Hélène, captive, fut conduite à Pékin, où Chun-tchi la fit traiter en impératrice.

Cependant le parti des Ming n’était point anéanti. Poursuivis par les Mandchoux, les débris de l’armée vaincue se réfugièrent dans les montagnes du Kouang-si, mettant ainsi entre eux et leurs ennemis d’infranchissables barrières. Ce furent les descendans de ces guerriers malheureux qui formèrent en grande partie l’indomptable race des Miao-tsé, l’objet de la terreur des habitans de la plaine et des autorités impériales. Ces hommes n’ont jamais porté la marque de déshonneur ou de soumission imposée par une horde barbare à leurs com-

  1. L’impératrice avait fait de tels progrès dans la dévotion qu’elle voulut adresser elle-même au souverain pontife l’hommage de sa piété filiale. Elle envoya à Rome le père Michel Boym chargé de deux lettres, l’une pour le pape Alexandre VII, l’autre pour le général des jésuites. La seconde a été conservée ; elle est écrite sur une longue pièce de soie jaune garnie de franges d’or.