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de comptes de ménage. Nous publions sous le titre de résurrections littéraires toute sorte d’antiques productions stériles, pédantesques et quelquefois même obscènes ou sordides. Nous avons aujourd’hui à l’œuvre quantité d’esprits trop zélés qui sont en train de gâter la noble profession d’érudit. Il y aurait dans une liasse de papiers une page à déchirer et à sauver de l’oubli ; ils publient la liasse entière. Il y aurait dans une page deux lignes d’un intérêt vraiment humain à extraire ; ils copient toute la page. Il semble en vérité que la caducité et les injures du temps soient un titre à la curiosité et à la faveur du public. La plupart de ces publications se recommandent à l’attention des lecteurs, non parce qu’elles contiennent des choses nouvelles ou ignorées, mais parce qu’elles contiennent de vieux papiers ; Ces papiers sont vieux ; le beau mérite et le beau titre d’honneur, s’ils sont en même temps ennuyeux et stériles ! Ce serait à croire vraiment que ceux qui les publient obéissent, à l’endroit des âges écoulés, à un préjugé d’un genre tout nouveau, et qu’ils s’imaginent qu’il n’y avait dans les siècles qui nous ont précédés ni bavards, ni sots, ni pédans, ni fats, ni littérateurs hydrophobes mordus du chien de la métromanie et possédés du démon de l’écritoire. Grâce au lointain des années, les défauts de tous ces écrits inutiles semblent se transformer en autant de qualités aux yeux de quelques-uns de nos érudits, qui récitent, commentent et traduisent sous diverses formes la belle tirade que Molière a imitée de Lucrèce. Le bavard devient un fidèle écho des bruits du temps ; l’ennuyeux, un témoin grave et sévère ; le fat, un miroir caché où viennent se réfléchir les scènes que les convenances sociales obligeaient à tenir secrètes. Il en résulte que la critique et l’érudition, qui devraient servir à dissiper le chaos des doutes et des incertitudes, finissent par ne plus servir qu’à embrouiller encore davantage ce chaos et à augmenter la confusion. Pour moi, je demanderais volontiers qu’on montrât par un exemple mémorable comment le passé doit être aimé, lesquelles de ses reliques doivent être conservées et lesquels de ses haillons détruits à jamais. On élèverait un beau jour sur une de nos places publiques deux statues, l’une à Saint-Simon, l’autre à Mme de Sévigné, et au-dessous on allumerait un immense bûcher dans lequel on jetterait tous les exemplaires existans sans exception aucune du journal de Dangeau, comme étant le type suprême en qui se résument ces publications nauséabondes et encombrantes. On jetterait encore au bûcher, comme exemple du châtiment qui menace les bavards de l’avenir et du présent trop pressés de saisir leur plume à toute heure du matin ou du soir, une bonne moitié des exemplaires existans du journal de l’avocat Barbier, que je n’y verrais aucun inconvénient.