Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/229

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M. Charles Clément, judicieux et sagaces, d’un goût à la fois large, et sûr, sans intolérance pédantesque et sans indulgence puérile. M. Charles Clément peut donner à ceux qui le liront une leçon très importante, une de celles que nous réclamons nous-même de la critique d’art : il leur apprendra comment il faut admirer, et varier selon les œuvres et les maîtres les formules de l’admiration. Nos lecteurs connaissent déjà les trois excellentes monographies que M. Clément a consacrées aux trois plus grands représentans de l’art moderne, et nous n’avons pas besoin de leur dire tout ce qu’elles contiennent de détails intéressans et de recherches instructives. Comme nous sans doute, ils se sont réjouis de trouver leurs propres jugemens d’accord avec ceux que porte le critique, et de sentir leurs impressions légitimées par les siennes propres ; comme nous encore, ils auront aimé à repasser dans ses pages tout ce qu’ils savaient déjà, et ils lui auront été reconnaissans des détails inconnus ou inédits qu’il a ajoutés à leurs connaissances, par exemple de ces pages où François de Hollande nous introduit dans l’intérieur de la marquise de Pescaire, et nous fait assister à une de ces conversations sublimes où Michel-Ange expliquait les secrets de son art. Nous laissons de côté tous ces mérites trop évidens, que le lecteur a pu apprécier aussi bien que nous, pour insister sur un mérite plus caché, qu’il n’a peut-être pas apprécié à sa valeur, et qui fait, si j’ose parler ainsi, le sel de ce livre, je veux dire l’indépendance et la fermeté d’esprit dans l’admiration. La critique de M. Clément s’est adressée aux trois plus grands artistes modernes, elle ne sort pas des régions du très grand art, et cependant elle a su conserver en face de ces géans, qu’elle a choisis précisément pour l’admiration qu’ils lui inspirent, une attitude aussi indépendante que respectueuse. Cette indépendance est la marque d’une admiration sincère et vraie. Défiez-vous de ces admirations débordantes qui ne savent s’imposer aucune réserve, et croyez bien que la convention entre pour une grande part dans de tels enthousiasmes. Trop admirer n’est pas une marque d’émotion, c’est bien plutôt, la plupart du temps, une preuve de défiance de soi-même. On admire trop par crainte de ne pas admirer assez et de paraître sentir, trop faiblement. Comme toutes les passions vraies, la véritable admiration est calme et sagace, elle voit d’un œil aimant les défauts de l’œuvre-admirée, elle les constate avec une finesse bienveillante, et, loin d’y trouver un motif de se refroidir, elle y trouve au contraire un motif d’y raviver son ardeur. C’est ainsi que M. Clément sait admirer. Il faut un sentiment tout à fait sincère et profond pour ne pas se laisser aller, en traitant un sujet comme le sien, aux redites, aux épithètes accréditées, aux lieux communs consacrés depuis trois siècles. Si M. Clément eût admiré ses grands hommes