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ce blasphème, M. Clément le prononce, il va même beaucoup plus loin, et il vous déclare sans détours qu’il y a chez Raphaël beaucoup de ce qu’on est bien obligé d’appeler de la rhétorique, faute d’un autre mot. Raphaël reçoit plus du dehors qu’il ne tire de lui-même, et lorsque l’impression reçue par lui n’est pas assez forte pour échauffer son génie, il supplée à l’inspiration qui lui manque par des beautés de convention et des expédiens d’école. « Guidé par un admirable instinct de la beauté, qui fut son vrai génie, il comprenait tout, s’assimilait tout, transformait tout en œuvres accomplies ; mais une inspiration personnelle ne vivifie pas, tant s’en faut, à un égal degré tout ce qu’il a fait. La rhétorique n’existe pas seulement en littérature, et c’est le beau académique, le conventionnel qui lui correspond dans les arts du dessin ; Cette transaction entre les manières extrêmes de concevoir et d’exprimer la forme, cette beauté moyenne, sans individualité, sans réalité, sans vie, ce modèle trop connu qui se transmet dans l’école, cette maladie désastreuse qui atteint l’art aussitôt qu’il s’éloigne de sa source, la nature, n’a point épargné Raphaël. » Et ailleurs, parlant de l’École d’Athènes, l’auteur, sans se laisser abuser par la haute valeur de cette œuvre, a indiqué nettement cet autre germe de la rhétorique en peinture, l’art représentatif. « C’est à la fois, dit-il, un grand effort de talent et une œuvre accomplie ; mais c’est aussi le premier essai dans de pareilles proportions de cet art purement représentatif où la science remplace l’inspiration poétique, où une pensée imparfaitement définie ne semblé appeler les personnages qu’à témoigner par leur beauté du savoir et de l’habileté du peintre. »

Le génie de Léonard est jugé avec la même indépendance et la même absence de tout préjugé. Ceux qui sont habitués, en vertu de certaines règles nées dans l’école, à identifier les mots d’idéal et d’idéalisme avec le mot de génie, à considérer tout grand peintre, tout grand poète, tout grand artiste comme un idéaliste, seront peut-être étonnés de voir M. Clément donner au système de Léonard le nom de naturalisme. Si ce mot n’avait été mal employé de nos jours, il donnerait même au grand peintre l’épithète de réaliste, et cette qualification ne serait qu’exacte. La réalité, la réalité avec ses pompes, ses splendeurs, ses mystères, son mélange d’ombre et de lumière, même au besoin avec ses laideurs et ses monstres, voilà le domaine de Léonard. Il voit la nature et l’homme comme un savant et un philosophe, nullement comme un contemplateur, un mystique ou un chrétien. Il semble considérer la nature comme un riche magasin rempli de formes vivantes, belles et bizarres, et où l’artiste peut rencontrer à profusion des sourires, des attitudes, des regards qui sont les expressions d’une âme obscure qui se dissimule derrière