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tout effort était si manifestement inutile qu’il en devenait ridicule ? Voilà une conviction qui ne tiendra plus contre le fait. Il est démontré que l’on peut entrer en lutte aux élections contre les candidats recommandés par l’administration, — bien plus, qu’il est possible de les battre. Il faut remercier de cette démonstration et les candidats indépendans qui, comme M. Casimir Perier et plusieurs autres, ont su tenir tête à l’hostilité de l’administration, et les populations qui les ont soutenus dans cette lutte généreuse. Il fallait que le parti libéral de l’activité politique pût enfin, qu’on nous passe le mot, démarrer. C’est ce qu’il vient de faire. Le premier coup d’aviron est donné, et nous allons prendre le large.

Puis, nous ne sommes point aussi ambitieux de force numérique que nos adversaires le supposent. D’abord nous ne considérons point, nous le déclarons hautement, comme hostiles à la cause libérale la masse des candidats débonnaires qui, par nécessité de position, par entraînement de circonstance ou par habitude, se parent de la recommandation administrative. Il y a là beaucoup de braves gens qui ont été des nôtres, et avec qui nous sommes sûrs de nous rencontrer encore à travers les vicissitudes que l’avenir nous peut réserver. Nous avons assez de modération pour reconnaître que, dans la confusion où nous avons été jetés par les révolutions violentes, tout le monde n’est point tenu d’avoir l’immobilité, la fermeté, la constance des porte-drapeaux. Nous allons si loin dans notre mansuétude, que nous sommes même reconnaissans envers ceux qui veulent bien garder de bons souvenirs pour la cause libérale, et qui avouent qu’ils n’ont à lui adresser d’autre reproche que de n’avoir pas su prévenir sa défaite et demeurer la plus forte. C’est de rancunes de ce genre que la cause libérale a principalement à souffrir ; avouez qu’il y aurait de l’imprévoyance et de la maladresse à se fâcher contre de tels ennemis. Il faudrait d’ailleurs bien peu connaître la France, et nous pourrions dire l’ondoyante humanité, pour se laisser trop décourager par l’illusion de l’unanimité apparente. Rien n’est moins stable que les majorités exagérées et débordantes ; le moindre accident pousse les vagues mouvantes dans les directions les plus imprévues. L’important pour nous, quand nous considérons d’où nous partons, c’est bien plus l’impulsion donnée que l’espace qui a été parcouru encore, car il est manifeste que c’est en ce moment le flot de la liberté qui remonte.

Nous tenons donc grand compte et de ce réveil d’activité politique dont certaines élections départementales ont témoigné, et du nombre, bien que petit, des élus indépendans qui vont entrer dans les assemblées locales. Il faut bien peu d’un levain généreux pour gonfler une pâte épaisse. Ce levain de libéralisme vivifiant, nous l’avons trouvé dans le beau discours que M. Jules Favre a récemment prononcé sur le régime actuel de la presse. En signalant avec une entière franchise les misères du journalisme actuel, M. Jules Favre a mieux servi la cause de la presse que n’ont semblé le croire certains écrivains qui se sont plaints que l’on mît en doute leur indépendance. Ces écrivains ont commis une méprise : ce n’était point l’indépendance