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son adversaire : il a posé un nec plus ultrà aux concessions du 24 novembre ; il a dit que les réformes n’iraient pas au-delà et que la presse n’avait à espérer rien de semblable à ce que les chambres ont obtenu. Il est des dissidens que les fonctionnaires de l’administration, avec plus de zèle que de lumières, ne craignent point de qualifier d’ennemis du gouvernement. S’il était possible que le gouvernement eût des ennemis, ce n’est probablement pas eux que l’on fâcherait en cherchant en toute occasion à établir que le gouvernement ne veut pas ou ne peut pas vivre avec la liberté de la presse. Les partis violens sont ainsi faits qu’ils préfèrent chez leurs adversaires les résistances opiniâtres aux concessions. M. Billault a invoqué l’histoire contre la liberté de la presse. L’histoire des partis montrerait que nous ne nous trompons point en leur attribuant ces perfides calculs. Quant à l’argument que l’on puise contre la presse dans la part qu’elle a prise à nos dernières révolutions, nous ne comprenons point qu’un pareil argument puisse encore figurer dans la rhétorique politique. On nous montre les journaux renversant des gouvernemens. Bien des gouvernemens ont été renversés en France depuis 1789. Au point de vue moral et politique, ils n’ont pas tous également mérité leur sort. Les uns ont péri par la violence, les autres par la faiblesse, — les uns par la folie, les autres par une sorte d’inertie sénile ; mais, nous le demandons, en est-il un seul qui ne soit tombé par le vice radical de ses institutions ou par la faute de ses chefs ? La presse n’a jamais été qu’un instrument dans nos luttes politiques, la cause des révolutions a toujours été dans le pouvoir lui-même. D’ailleurs ne pourrait-on pas répéter, avec plus de force apparente et avec non moins d’injustice, contre les assemblées, les accusations que l’on porte devant les assemblées elles-mêmes contre les journaux ? Nous le répétons, les journaux sont un des instrumens, une des formes, un des moyens d’action qui, donnés aux sociétés politiques par les besoins et les progrès de la civilisation moderne, ne purent être ravis au libre mouvement de ces sociétés sans blesser leurs intérêts, sans violer leurs droits ? Incriminer des moyens d’action qui, comme tous les instrumens mis à la disposition de la liberté humaine, sont également puissans pour le bien et pour le mal, est-ce bien logique ? C’est avec la liberté humaine que les gouvernemens et les législateurs doivent traiter ; tant pis pour eux s’ils ne savent point y parvenir, car quant à supprimer aucune des manifestations naturelles et légitimes de la liberté, c’est une œuvre impossible et à laquelle on ne peut longtemps réussir. Le dernier débat de l’assemblée législative produira donc, selon nous, plus d’effets que M. Billault n’a voulu nous le promettre. Peu importe, nous le répéterons encore, que dans cette circonstance les défenseurs de la liberté de la presse aient été si peu nombreux à la chambre. Au-dessus de l’auditoire passager de nos discussions, il y a pour le défenseur des principes libéraux un auditoire invisible, formé de tous les grands esprits qui ont soutenu cette cause vraie, et dont les noms sont consacrés par l’admiration et la reconnaissance du monde. Les applaudissemens de cet auditoire sont les plus fortifians et les