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L’INSURRECTION CHINOISE.

spirations entretenues par les sociétés secrètes, c’est dans les projets séditieux de la Triade contre la dynastie des Ming, c’est dans l’appui que la haine nationale, excitée par l’oppression des Mandchoux, prêtait, depuis quelques années surtout, à ces projets, qu’il faut chercher l’origine politique de l’insurrection chinoise. Les preuves historiques ne manquent pas. Des faits tout récens, et dont nous avons été le témoin, sont venus confirmer cette opinion. Ne savons-nous pas que les bandes d’insurgés qui ont pris Amoy et Shang-haï faisaient partie de la Triade, et n’avons-nous pas vu les chefs qui commandaient dans cette dernière cité réclamer énergiquement leur séditieuse parenté avec les rebelles du nord ? N’avons-nous pas vu aussi le symbole de la Triade, l’étendard aux cinq couleurs, flottant aux mâts des jonques qui portaient sur le Yang-tze-kiang des renforts aux armées de Taï-ping ? Enfin ne lisons-nous pas dans une proclamation de ses ministres un appel véhément adressé aux membres de la Triade comme à des frères et à des associés[1] ?

Quant au caractère religieux de l’insurrection, on ne peut jusqu’à un certain point se refuser à le croire emprunté aux doctrines émises dans les écrits des missionnaires protestans, puisque dans les livres de Taï-ping-ouang, les seules preuves que nous ayons de ce caractère, on retrouve des formes, des expressions entières empruntées aux œuvres protestantes[2]. Il se sera sans doute trouvé parmi les membres influens de la Triade un homme qui avait reçu quelques leçons des disciples de Morrisson, ou qui, avide de savoir, avait étudié les traités dont la propagande protestante a inondé le territoire chinois. Cet homme avait peut-être été l’élève du docteur Roberts, peut-être était-il le chef d’une troupe de Miao-tsé révoltés. Quoi qu’il en soit, il se sera d’abord servi de sa demi-science pour exploiter la crédulité publique au profit de son ambition[3] ; mais ensuite, soit qu’enivré de ses succès et se faisant illusion à lui-même il ait cru vraiment posséder la doctrine céleste, soit plutôt qu’il ait

  1. Proclamations publiées, sur l’ordre de l’empereur Tai-ping, par Yang et Siaou, ministres d’état de la nouvelle dynastie.
  2. C’est là une preuve péremptoire. Les protestans ont adopté, pour représenter certaines idées abstraites que l’on retrouverait également dans les livres catholiques, des caractères chinois différens de ceux qui sont employés dans ces livres.
  3. Taï-ping-ouang cherche à frapper l’imagination de ses soldats et à exciter leur enthousiasme en leur persuadant en premier lieu qu’il est l’envoyé, si ce n’est même le fils du grand Dieu, qui lui a donné la mission de sauver le monde des griffes du démon, la même mission qu’il a donnée autrefois au frère aîné céleste, à Jésus-Christ ; secondement que le grand Dieu et le frère aîné céleste (qui est Dieu comme lui) ont donné des preuves nombreuses de leur intervention directe en faveur de sa cause. Ce double but ressort clairement de ses écrits. Il va sans dire qu’il le rattache directement à ses vues de politique ambitieuse, et que, parmi les pires espèces de démons, il place au premier rang les démons tartares.