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capitaine en retraite, un certain Tchoukhanof, qu’on tient à demi-ration. Il a de grandes moustaches et un air de matamore, ce qui ne l’empêche pas de n’être au fond qu’un très humble courtisan. Toutes ces personnes sont de la maison et n’en sortent pas ; mais Mme de Libanof a beaucoup d’autres relations… Il me serait impossible de me les rappeler toutes… Parmi les visiteurs les plus assidus, il faut compter le docteur Gutmann. C’est un joli garçon, à favoris soyeux, qui n’entend pas grand’chose à la médecine, mais qui baise avec attendrissement les mains d’Anna Vassilevna… Cela plaît assez à la veuve, qui a de jolies mains, un peu trop potelées, mais blanches. et les doigts retroussés du bout…

MOUKHINE, avec impatience.

Mais tu ne dis rien de la fille ?

GORSKI.

Patience donc ! Que te dirai-je de Vera Nicolaevna ? Je ne sais vraiment rien d’elle. Qui peut se vanter de connaître une jeune fille de dix-huit ans ? Elle fermente encore comme un vin nouveau, mais elle fera sans doute une femme charmante. Elle est fine et spirituelle, elle a du caractère, un cœur tendre, et ne demande qu’à vivre. Elle se mariera bientôt.

MOUKHINE.

Avec qui ?

GORSKI.

Je n’en sais rien,… mais elle ne restera pas longtemps fille.

MOUKHINE.

Cela s’entend. Un riche parti…

GORSKI.

Oh ! ce n’est pas parce qu’elle est riche !

MOUKHINE.

Et pourquoi donc ?

GORSKI.

Parce qu’elle a compris que la vie de la femme ne commence que le jour de ses noces, et qu’elle veut vivre. Écoute… Mais quelle heure est-il ?

MOUKHINE.

Il est dix heures.

GORSKI.

Dix heures,… j’ai encore le temps. Écoute bien. Nous sommes en guerre ouverte, Vera Nicolaevna et moi. Sais-tu ce qui m’a fait accourir ici ventre à terre hier matin ?

MOUKHINE.

Comment veux-tu que je le sache ?

GORSKI.

Un jeune homme de ta connaissance a l’intention de demander aujourd’hui sa main.

MOUKHINE.

Et qui donc ?

GORSKI.

Vladimir Petrovitch Stanitzine, ex-lieutenant de la garde, un de mes bons