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applications du travail humain que je préfère ; mais les préférences ne doivent pas se tourner en exclusions. Quelque admiration que m’inspirent les solitudes de la nature ou les monumens en débris du passé, je ne puis sans une intime joie voir les magnificences de la civilisation contemporaine : ce sont les fêtes de Versailles de la démocratie, et je les aime mieux que celles dont Molière nous a complaisamment entretenus. Que notre temps est puissant, et qu’il lui manquerait peu, s’il voulait, pour effacer tous les temps par l’emploi de sa puissance. Un peu plus de courage d’esprit, — cela seulement, — et l’humanité n’eût jamais été si grande.

Ce n’est pas à Nîmes au reste que l’on est obligé de s’absorber dans la contemplation des œuvres du présent. J’ai parlé de ses antiquités, et je voulais les revoir, non-seulement pour les personnes qui m’accompagnaient, mais pour moi-même, et pour me préparer à ce que j’allais chercher. Les nouvelles constructions me montraient Nîmes se modelant sur Paris ; je voulais voir Nemausus se réglant sur Rome, et dans les deux cas comparer la ville de province à la capitale. Les trois grandes antiquités de Nîmes, la Maison-Carrée, les Arènes et le pont du Gard, n’ont plus besoin d’être décrites ; elles me frappèrent diversement, mais également, par le soin avec lequel elles sont conservées, rendues accessibles, et les deux premières surtout, intelligibles et explicables grâce à la manière dont elles sont déblayées et isolées. J’étais destiné à ne pas retrouver souvent des attentions pareilles, et l’édilité nîmoise pourrait en remontrer aux sénats des municipes de l’Italie. Le sénateur de Rome lui-même trouverait à gagner à cette école. Les fouilles, assez récentes, qui ont mis en évidence ce qu’on appelle la porte d’Auguste ont été dirigées avec une véritable intelligence archéologique, et la critique a éclairci l’origine des monumens, que la curiosité et le respect maintiennent dans les meilleures conditions. Seulement il leur est arrivé ce qui advient à tant d’antiquités, on les a rajeunis. Dans les premiers temps où l’on s’occupait de ces sortes de recherches, l’esprit plein des souvenirs de l’histoire classique, on voulait toujours rapporter les moindres débris du passé aux époques les plus célèbres, aux personnages les plus renommés. Tout ce qui venait de Rome datait de la république, ou tout au moins du siècle d’Auguste ; mais un examen plus sévère a presque toujours diminué l’âge des monumens, et même à Rome les ruines des mauvais ou médiocres temps de l’empire ont effacé une bonne partie des souvenirs qu’on aurait voulu rattacher à une plus noble origine. Nîmes au reste n’a pas été encore si mal partagée. Ses monumens ne paraissent pas plus récens que le règne d’Adrien, époque encore intéressante dans l’histoire de l’art, et même le pont du Gard est regardé comme