Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/299

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c’était, avec les couleurs et les formes du midi, la fraîcheur de l’Ecosse. Il semblait que tout fût lumière et parfum, repos et bien-être, que tout respirât le calme, la joie et la vie ; mais presque aussitôt nous vîmes une voiture noire, un chariot lugubre qui relayait sur la route. Deux hommes en deuil étaient assis sur le devant, et notre postillon nous dit qu’il avait déjà plus d’une fois depuis l’automne ramené vers le nord ce fourgon funèbre. Il est donc vrai, c’est à Cannes que Tocqueville a rendu le dernier soupir. Là, pendant que nous passons curieux et charmés, souffrent sans se plaindre et s’éteignent en silence de jeunes et nobles créatures faites pour embellir, faites pour honorer la vie humaine. Où est-elle donc cette harmonie tant promise ? Que tout est obscur et que tout est amer !

Mais ramenons nos yeux sur ce littoral du Languedoc et de la Provence, parcouru dans une saison qui semble un printemps nouveau, et convenons qu’on en peut emporter des points de comparaison dont le souvenir nous soutiendra contre toute jalousie patriotique en Italie. Les antiquités nîmoises ne font pas dans l’imagination si mauvaise figure auprès des antiquités romaines. Les bords de l’Adriatique ne m’ont offert rien d’égal à nos bords de la Méditerranée, et le rivage ligurien ne fait guère que les continuer. Enfin il ne faut pas être trop rigoureux pour ce que j’appelle le beau moderne, tel que le réalise un art toujours un peu industriel dans ses procédés, toujours un peu utilitaire dans ses fins. Nîmes, Toulon et surtout Marseille, sous la main puissante de la civilisation actuelle, offrent un spectacle qu’on chercherait longtemps hors de nos frontières, et vraiment les œuvres du progrès économique et technologique peuvent être portées à de telles proportions, exécutées avec une telle recherche de bonne ordonnance et de luxe commode, qu’elles arrivent à intéresser et à étonner l’imagination. C’est la poésie de la prose, ce sont des merveilles sans le merveilleux, c’est le conte oriental dans notre Occident. L’Italie n’en est pas encore tout à fait au point de nous donner le spectacle de ces créations magiques du capital et du travail.

Nice est un peu ce que sera Cannes, quand Cannes sera gâtée. La ville commence à être trop grande, et les villas à surcharger la campagne. Cependant il y a plus d’espace à remplir ou à gaspiller qu’à Hyères ou à Cannes, et nous avons fait là une très jolie acquisition. Nice d’ailleurs ne paraît ni plus ni moins française qu’avant l’annexion. C’est par sa position une ville qui sera toujours cosmopolite. Ce qui la renoue encore à l’Italie, c’est qu’elle est la patrie du général Garibaldi. Elle ne saurait guère rester indifférente à ce nom que tout le monde répète. L’Italie ne peut se défendre d’aimer