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qui avait pris le nom de Taï-ping-ouang (le grand roi pacificateur). On put alors s’expliquer comment ce Tien-té, que des étrangers dépourvus d’informations suffisantes plaçaient au premier rang dans l’armée rebelle, avait quitté brusquement la scène, et comment Taï-ping-ouang, jusque-là son égal, si ce n’est son supérieur en pouvoir, était devenu le chef unique de l’insurrection.

Au mois d’août 1852 parut dans la Gazette de Pékin un décret de l’empereur qui modifiait le plan de campagne suivi jusque-là sans succès contre les rebelles. Le vice-roi des deux Kouang, Siu, était revêtu des fonctions de commissaire impérial chargé de combattre les rebelles dans le Hou-nan, et recevait l’ordre de partir immédiatement pour sa nouvelle destination ; Yé était nommé vice-roi intérimaire des deux Kouang. L’insurrection n’en continuait pas moins ses progrès en dépit des nouvelles dispositions qu’on venait de prendre pour les arrêter. Hong-siou-tsiouen était entré dans le Hou-nan au commencement de 1852, et, sans qu’aucun obstacle eût pu arrêter sa marche victorieuse, il avait mis le siège devant Tchang-cha, capitale de la province. Ces nouveaux et rapides succès portaient en eux-mêmes la condamnation du commissaire impérial Saï-chang-ha. Il était en effet resté inactif, concentrant son armée sur un petit espace de terrain, tandis qu’il aurait dû en former plusieurs divisions qui eussent occupé toutes les routes. Aussi ne trouva-t-il pas grâce cette fois devant l’empereur, qui, le considérant « comme un serviteur ingrat et inutile, » le manda à Pékin pour y être sévèrement jugé. Le commissaire Siu prit son commandement, et il reçut en même temps le titre de vice-roi intérimaire du Hou-kouang.

Le siège de Tchang-cha dura près de trois mois. Après quatre-vingts jours de combats acharnés, les rebelles furent repoussés et obligés enfin de battre en retraite. Toutefois, par une marche habile, ils s’emparèrent presque sans coup férir d’une ville de premier ordre, Yo-tchao-fou, qui, par sa position à l’embranchement du lac Toung-ting et du Yang-tze-kiang, était un point stratégique important. Dans son indignation contre le commissaire impérial Siu, qui non-seulement n’avait pu prévenir un événement aussi funeste, mais qui avait même négligé d’en rendre compte, l’empereur le priva de ses dignités tout en lui conservant le poids de ses fonctions. Un nouvel échec essuyé par les armes tartares lui ôta bientôt sa charge de vice-roi des deux Kouang, qui fut donnée définitivement à Yé.

Après avoir pillé Vou-tchang-fou, capitale du Hou-pé, où ils avaient trouvé d’immenses richesses et fait couler des flots de sang, les insurgés l’avaient évacué pour marcher à une conquête plus importante. Nankin n’était plus trèséloigné ; ils avaient maintenant d’innombrables barques à leur disposition, et le cours d’un grand fleuve les y portait. La terreur les précédait partout : elle leur ouvrit suc-