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possible qu’entre deux villes : Venise et Rome, les seules grandes cités restées en dehors de la monarchie nouvelle ; puis il les compare, et il conclut ainsi : « Nous pensons, quoiqu’elle n’ait pas toutes les qualités désirables, que Rome est sans contredit la capitale que les Italiens choisiront un jour. » Nous rapportons cette conclusion sans y souscrire. Napoléon ne tenait pas compte apparemment d’une objection que tout le monde connaît, et qui ne peut être levée par la force : cette objection subsiste, et son autorité ne la supprime pas ; mais il reste que l’homme peut-être qui a le mieux connu l’Italie, l’homme qui l’a deux fois conquise et longtemps gouvernée, croyait à l’unité de l’Italie.

Cette unité doit-elle être absolue ? Je me défie trop de l’unité en toute chose pour l’affirmer, et si l’on proposait à la monarchie italienne de choisir entre l’annexion de Venise et celle de Naples, elle devrait opter mille fois pour la Vénétie. Je ne prétends dire qu’une chose : ce qui se passe ne vient pas d’un caprice du moment, car c’est l’accomplissement de certaines opinions que je laisse sous la protection des noms qui les recommandent. Pour moi, sans épouser aucun système et quoi qu’il advienne de l’Italie, mes vœux sont pour elle, c’est-à-dire pour qu’elle ne soit qu’italienne. Et nous irons, si vous le trouvez bon, porter ce vœu à la madone de la Chartreuse de Pavie.


III. — LA CHARTREUSE DE PAVIE.

J’ai revu Milan sans canons autrichiens braqués sur la place. Cette belle ville est rendue à elle-même : il n’y a plus rien à souhaiter aux Lombards qu’une seule chose, la persévérance ; mais la cathédrale, mais Saint-Ambroise, le musée, l’Ambrosienne, l’hôpital Majeur, mais le Cenacolo, l’aspect original de cette cité, qui semble à la fois du nord et du midi, tout cela forme toujours un spectacle qui se grave dans la mémoire, et j’aurais peine à choisir entre Milan, Florence et Rome. L’architecture de l’hôpital Majeur est un élégant chef-d’œuvre de la renaissance. La Brera m’a enchanté par ses Luini, et le Mariage de la Vierge de Raphaël ne m’avait jamais paru une chose aussi exquise. Luini encore et surtout Léonard triomphent à l’Ambrosienne. Il n’est pas jusqu’à l’arc de triomphe de l’Esplanade qui, dans sa froideur solennelle, ne soit une digne représentation monumentale du génie des arts tel qu’il était sous l’empire, grave et timide, fier et gêné, servilement noble, comme bien d’autres choses… Mais il y aurait trop à dire de Milan, si on se laissait aller, et il ne faut pas manquer cette fois cette chartreuse