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tant prônée. Quittons la ville pour le désert. Et quel singulier désert !

Les Visconti se partageaient la Lombardie. Jean Galeas régnait modestement à Pavie, tandis que Bernabo, son oncle et son beau-père, dominait à Milan avec la rudesse d’un despote et l’ambition d’un conquérant. Le neveu semblait comme enseveli dans les humbles devoirs d’une dévotion minutieuse, lorsqu’en passant près de Milan pour aller en pèlerinage à la madone del Monte, près de Varèse, il fit prendre et garrotter, avec toute sa famille, Bernabo, qui était venu à sa rencontre ; il l’enferma dans le château, de Trezzo, et l’y laissa mourir, empoisonné trois fois (1385). Maître de toute la Lombardie, il étendit son pouvoir au loin, jusqu’à Spolète, jusqu’à Pérouse ; menaçant Rome même, il convoita ce titre de roi des Lombards, qui ne devait pas renaître encore, et rêva cette unité de l’Italie à laquelle travaillaient plus innocemment Pétrarque et Boccace. Heureusement l’instinct d’un ambitieux en fait souvent l’instrument de quelque grande pensée qu’il sert par ses passions et par ses fautes. Le premier duc de Milan avait cette piété de son temps, qui ne se passait le crime qu’à la condition de la pénitence, et il crut s’absoudre d’une trahison suivie d’assassinat en détachant de son parc de Mirabello, qui avait clos de mur cinq milles de tour, un terrain pour y fonder un couvent de chartreux. On dit même qu’il ne fit en cela qu’accomplir un vœu de Catherine Visconti, sa femme, qui n’était pas apparemment sans quelque inquiétude au souvenir de la mort de son père. Il posa en grande pompe la première pierre de la nouvelle chartreuse le 8 septembre 1396, et deux ans après il y installa, avec une bonne dotation, vingt-cinq moines et leur prieur, auxquels à sa mort, survenue en 1402, son testament laissait un riche domaine, dont le revenu devait, pour une partie, servir à la construction et à l’ornement de l’édifice, et passer aux pauvres quand l’église et le couvent seraient achevés. Aussi l’ouvrage dura-t-il longtemps ; mais le résultat fut magnifique, et ainsi fut élevé le monastère le plus beau peut-être, dit Guicciardin, qui soit en Italie. On mit à le finir cent quarante-six ans. Il en fallut davantage pour achever le tombeau de Galeas Visconti, qui avait cru se bâtir une sépulture expiatoire, et quand tout fut prêt pour recevoir ses restes, on avait oublié dans quel lieu on les avait mis, et sa tombe est restée un cénotaphe. Louis le More, ce Sforza qui détrônait son neveu, se fit proclamer duc de Milan par le peuple, consacra l’église cent un ans après qu’elle avait été commencée, et, plus heureux que le fondateur, il repose, ainsi que Béatrice d’Este, sa femme, dans le même transept où Galeas n’a qu’un vide mausolée. C’est ce Louis le More qui, concevant aussi à sa manière l’indépendance