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dignes d’être vues isolées et admirées pour elles-mêmes. Malheureusement ce splendide placage, un peu lourd faute d’un couronnement qui se fait attendre encore, n’est pas en parfaite harmonie avec le reste du monument extérieur. En regardant celui-ci, on a peine à comprendre qu’il soit l’ouvrage de Heinrich von Gmunden, l’Enrico da Gamodia des Italiens, premier auteur de la cathédrale de Milan. Woods a eu raison d’en douter, n’y trouvant point de réminiscence de l’architecture du nord. De nouvelles recherches ont rendu la Chartreuse de Pavie à Jacques Campion, qui fut choisi par Galeas Visconti, et cessa, pour ce nouveau travail, d’être attaché à la construction du dôme de Milan. On lui dut ainsi une large église en briques taillées, en terra cotta, qui ne manque ni de richesse ni d’élégance, d’un style lombard de la renaissance ou romanesque en transition, qu’on définirait malaisément, mais qui n’est pas désagréable, peut-être comparable à celui de Sainte-Marie-des-Grâces de Milan. Le plus beau modèle de ce style me paraît être le grand hôpital de cette ville, dont la façade centrale et la vaste cour, ouvrage du Florentin Antonio Filarete, sont un des meilleurs morceaux d’architecture civile qu’on puisse voir. La cour célèbre, et justement célèbre, de notre hôtel des Invalides paraît bien lourde auprès de cette élégance.

Mais enfin, après avoir difficilement, laborieusement obtenu la sensation que peut produire le dehors de la Chartreuse, il faut y entrer, et l’on ne manquera pas d’être frappé, sinon de la disposition générale, au moins de la splendeur intacte de ce trésor de choses précieuses. C’est un écrin de bijoux religieux, et pourtant, tout bijoux qu’ils sont, on ne veut pas que les femmes les voient de près : elles ne sont admises que dans la nef ; une consigne sévère leur ferme le chœur et les chapelles latérales. Cette défense un peu sauvage s’explique au moins ici, parce qu’elle est prononcée moins contre les femmes que contre les chartreux. Cette prohibition, assez commune en Italie, n’a pas partout cette excuse plausible, encore qu’un peu grossière. Heureusement le gardien, homme attentif et intelligent, a soin d’indiquer aux visiteuses la meilleure place pour voir du bord de chaque grille ou balustrade ce dont il leur défend d’approcher. L’inspection doit en être longue pour être intéressante, car il n’y a point ici de ces beautés hors ligne vers lesquelles il faut marcher en ne donnant au reste qu’un coup d’œil, mais une profusion d’excellentes choses, de jolies choses, de curiosités précieuses, qui font de cette église un monument unique du luxe de l’art religieux en Italie.

C’est une croix latine, avec bas côtés bordés de quatorze chapelles, et dont les bras contiennent trois autels, en comptant celui