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éloge donné à Christophe Solari, qu’il a su conserver dans la mort tout le souvenir de la vie.

Les deux autels du transept et le maître-autel, gardé par une grille qui semble d’or, offrent une somptuosité orientale, et ne pourraient se décrire que par les détails. Les deux sacristies sont, peu s’en faut, aussi riches en objets d’art que les chapelles, et tout l’intérieur du couvent mérite d’être visité. Il y a deux cloîtres dont les colonnettes simples et les arceaux à plein cintre excluent toute idée du gothique que l’auteur de la description officielle qu’on vend sur place a prétendu retrouver dans l’église. Une des cours est close par des lignes de cellules, ou plutôt, selon la règle de l’ordre, de maisons composées de trois pièces, une au rez-de-chaussée, deux au premier étage, et qui sont pour chacun des chartreux un véritable ermitage. Çà et là, dans les bâtimens de service, l’art se montre encore : c’est un lavoir où l’on peut admirer de bonnes sculptures ; c’est une fresque de Bernardino Luini représentant la Vierge et l’Enfant, qui tient une fleur incarnat, le meilleur souvenir de peinture que m’ait laissé la Chartreuse de Pavie.

On quitte à regret ce vaste dépôt de richesses ensevelies dans une solitude par les soins des moins mondains, des plus austères des religieux. Plusieurs générations de chartreux, disposant d’un revenu considérable, qu’ils ne pouvaient garder qu’autant qu’ils le consacraient à l’achèvement de leur maison, se sont attachées à décorer un édifice dont le nom réveille l’idée d’un âpre séjour de souffrance et d’effroi dans une solitude sauvage. Des cénobites qui ne portent pas de linge ont bâti un palais des Mille et Une Nuits. Rien ne ressemble moins à la Grande-Chartreuse que ce monument historié, qui fait certes plus penser à François Ier qu’à saint Bruno. On dirait la chapelle d’un Versailles de la renaissance ; mais ce nom de François Ier rappelle que nous sommes aux environs de Marignan (Melegnano), le lieu où Galeas est mort, et d’où partit processionnellement Louis Sforza pour venir, en 1497, présider à la consécration de l’église. Vingt-huit ans après, on amenait ici François Ier, fait prisonnier à la bataille de Pavie, dans le parc de Mirabello, et il entendait en entrant les religieux chanter ce verset du psaume 118 : Bonum mihi quia humiliasti me ut discam justificationes tuas. On dit qu’il se mit à chanter avec eux en prenant pour lui la fortuite allusion.

Au nombre des ornemens qu’on admire dans ce temple sont les devans d’autel, tous en incrustations de pierres dures, égales à ce qu’en ce genre Florence a de mieux. C’est l’ouvrage de plusieurs-générations d’une famille Sacchi, Valère, André, Charles, etc., qui s’est fixée près de la Chartreuse, et à qui tel autel a coûté dix ans