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tant qu’il n’aura pas pacifié l’empire, comme il le dit dans ses proclamations ; mais il ne commandera plus ses armées dans les batailles : il enverra des généraux se battre pour sa cause, et il leur expédiera des ordres du fond de son palais. Il ne les fera plus marcher sans leur permettre de regarder derrière eux, comme il l’a fait jusqu’à ce qu’ils eussent conquis un trône pour sa puissance impériale ; mais il étendra ses bases d’opérations, il cherchera à affermir sa domination sur les pays qu’il a parcourus en vainqueur, et, pendant qu’une de ses armées s’avancera vers le nord, ses soldats combattront pour lui dans les provinces du centre de l’empire.

Après avoir franchi le Yang-tze-kiang sous les murs mêmes de Nankin, déjoué la tactique du général Si-ling-a, qui commandait un camp retranché sur la rive opposée du fleuve, et battu les Tartares du Ghi-rin, qui le défendaient, les troupes insurgées prennent résolument la direction de Pékin. Leur marche rapide à travers le Kiang-sou et le Ho-nan n’est qu’une suite de faciles victoires. En moins d’un mois, ils ont pillé huit villes importantes. Le 19 juin 1853, ils mettent le siége devant Kaï-foung-fou[1], capitale du Ho-nan. Kaï-foung-fou était défendu par une brave garnison à laquelle s’était joint un corps nombreux de volontaires. Dès le lendemain de l’arrivée des rebelles, elle fit une sortie et brûla une partie de leur camp. Huit jours après, le général tartare Si-ling-a, qui ne cessait de harceler les insurgés depuis leur départ de Nankin, les surprit et les dispersa à la suite d’une lutte acharnée de douze heures. L’empereur le félicita hautement de cet important succès et lui ordonna de le mettre à profit pour empêcher les rebelles de traverser le Fleuve-Jaune.

L’avantage qu’avait remporté Si-ling-a était venu à propos pour le remettre en grâce. Quinze jours auparavant, un décret avait dégradé ce général pour le punir d’un échec qu’il avait essuyé sous les murs de Pokkao. « Si-ling-a, disait l’empereur dans ce décret, devrait être couvert de honte et chercher avant tout à recouvrer sa face, qu’il a perdue ; cependant nous le retrouvons, quelques jours après sa défaite, cherchant à l’excuser et divaguant sur le mauvais état des armes, des chevaux et des munitions. Il semble vraiment que les officiers supérieurs se fassent une règle de se retirer quand l’ennemi avance, de rester en place quand il recule, et d’inventer ensuite des prétextes pour jeter le blâme sur les autres et nous induire en erreur.

  1. Kaï-foung est une vaste et ancienne cité éloignée de la rive sud du Fleuve-Jaune d’environ une lieue. De hautes digues la séparent du fleuve, dont le niveau est plus élevé que celui du sol où elle est bâtie. Des digues furent rompues, au temps de la conquête des Mandchoux, par le général qui commandait à Kaï-foung pour les Ming. Il empêcha ainsi l’ennemi d’y entrer, mais il fit périr plus de trois cent mille habitans.