Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/340

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sage politique de terrifier tous les partis quand nous jugerons prudent de ne pactiser avec aucun. La crainte que nous leur inspirerons fera tout le respect qu’ils auront pour nous. Il s’agit seulement de frapper juste. Du moment que nous ne pouvions, sans nous compromettre, accueillir favorablement les avances des insurgés, nous devions faire le vide autour de nous pour ne pas être surpris et étouffés.

En effet, le péril allait croissant, se rapprochait ; il pouvait finir par nous cerner. Les rebelles occupaient les plus grandes villes du Kiang-sou et campaient à nos portes. Dans le Tché-kiang, où ils avaient pénétré au commencement de 1858, sous la conduite du prince assistant Chi-ta-kah, ils avaient pris successivement sept villes importantes. Le centre, l’ouest et le nord de la province étaient en feu. Aujourd’hui même, en 1861, la situation n’a fait que s’aggraver : tout manque à la fois aux impériaux. Sommé dernièrement par un ordre de son souverain de rassembler toutes ses forces et d’expulser de Sou-tchao les misérables qui s’y sont établis, le gouverneur du Kiang-nan, Tsang-kouo-fan[1], répondait avec une humilité respectueuse qu’il n’avait à sa disposition ni artillerie, ni argent, ni soldats.

Il faut compléter ici l’ensemble des faits qu’on vient d’exposer par l’analyse d’une série de documens aussi curieux qu’instructifs. La détresse du gouvernement de l’empereur Hienn-foung, l’insuffisance de ses ressources y sont mises tristement en lumière par les désolantes révélations que lui font ses conseillers et la singulière gravité des mesures qu’ils lui proposent. On voit qu’à leurs yeux le mal est immense, et que l’imagination ne doit pas reculer devant les plus énergiques remèdes.

Un membre de la famille impériale, le prince King-houi, considérant d’un côté que la guerre engagée depuis plus de trois ans déjà au sein de l’empire a engendré des maux sans nombre pour le peuple et qu’il convient de mettre fin à ses maux en imprimant une plus grande activité aux opérations militaires, — de l’autre, que l’état des finances épuisées ne permet même plus d’entretenir sur pied les armées qui doivent veiller à la sûreté du territoire en temps de paix, — propose à sa majesté l’adoption d’une mesure extrême, il est vrai, mais que le malheur des temps justifie suffisamment à ses yeux. Cette mesure, ce serait l’émission par le gouvernement d’un papier-monnaie ayant cours forcé. Les généraux l’emploieraient à la solde des troupes, qui s’en serviraient pour acheter tous les objets dont elles ont besoin ; les sujets de l’empereur paieraient

  1. Successeur du vice-roi Ho-koueï-tsin.