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l’impôt, les marchands acquitteraient leurs obligations avec cette monnaie fictive, et quiconque se refuserait à l’accepter serait sévèrement puni. Si l’empereur daignait ordonner l’adoption de cette mesure, le rapporteur ne doutait pas que la prospérité ne vînt à renaître bientôt dans l’empiré et que les rebelles ne fussent en un moment balayés de la surface de la terre. L’empereur approuve le plan financier de son parent, et ordonne à ses ministres d’aviser promptement aux meilleurs moyens de le mettre à exécution ; mais il ne dit pas quelles mesures ils devraient prendre pour rétablir le crédit public, sans lequel l’emploi d’un pareil système est évidemment impossible.

D’après les renseignemens fournis au censeur Youn-paou, dont les fonctions consistaient spécialement à surveiller les quartiers du centre de la capitale, les soldats tartares et chinois qui devraient veiller à sa défense n’y existent guère que sur le papier. Tout ce qu’il y avait de valide parmi les troupes de la garnison a été appelé sur le théâtre de la guerre, les vieillards et les gens infirmes qui restent font si négligemment leur service, « qu’ils seraient tout au plus bons à repousser l’attaque d’une bande de voleurs. » Cette coupable incurie des chefs militaires est devenue une cause de terreur pour la partie riche de la population. Depuis 1853, plus de trente mille familles ont quitté la capitale, emportant avec elles tout ce qui leur appartenait. Il en est résulté que les travaux et le commerce sont interrompus, et que les basses classes sont en proie à la plus effroyable misère. Cependant on n’a pas craint, pour remplir le trésor épuisé, de lever des impôts extraordinaires sur ces malheureux, qui manquent de nourriture et de vêtemens. Le rapporteur a rencontré de pauvres vieilles femmes presque nues qui, n’ayant pu trouver une seule pièce de monnaie, allaient porter aux percepteurs des taxes le seul vêtement qui pût les garantir des rigueurs de l’hiver. Il supplie l’empereur de vouloir bien, dans sa sagesse et sa bonté, remédier à ces abus, à ces maux que la présence de l’ennemi au cœur de la province[1] rend encore plus déplorables, et il ne craint pas d’affirmer à sa majesté que, d’après les aveux de ses émissaires, un grand nombre de rebelles sont entrés, il y a quelque temps, dans la capitale, où ils ont loué des maisons et travaillent avec ardeur à se faire des partisans[2].

  1. Les rebelles étaient alors aux environs de Tien-tsin.
  2. D’après les lois de l’empire, aucun document ne peut être imprimé dans le journal officiel avant d’avoir été soumis à l’appréciation du cabinet impérial. Le rapport du censeur Youn-paou ne lui avait pas été présenté avant la publication. Le gouvernement s’émut et ordonna une enquête, qui prouva la négligence de quelques employés d’imprimerie, mais sans démentir les faits signalés par le censeur.