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jamais abandonner ni les malades ni les blessés. Si vous ne soutenez pas la faiblesse, vous encourrez la disgrâce du ciel.

« Aujourd’hui les affections et les haines des hommes sont toutes dictées par des considérations égoïstes et des vues étroites. Les habitans d’une province, d’un district, d’un village, ne connaissent pas ceux d’une autre province, d’un autre district, d’un autre village, et parce qu’ils ne les connaissent pas, ils se croient supérieurs à eux, ils s’en méfient, ils les dédaignent. Ainsi l’ignorance, engendrant l’égoïsme, devient une source de rivalités, de querelles, de guerres. Cependant, lorsque les souverains de l’antiquité, comme Yaou et Chun, ouvraient leurs greniers pour soulager la misère publique, ils ne favorisaient pas dans leurs largesses un peuple plutôt qu’un autre. Confucius et Mencius distribuaient également leurs enseignemens aux uns et aux autres. — Pourquoi cela ? C’est que ces dignes personnages considéraient le monde comme divisé en plusieurs royaumes, mais ne constituant qu’une seule famille ; c’est qu’ils savaient que le grand Dieu est le père universel de tous les hommes, qui sont tous frères, et qu’il gouverne et protège les nations étrangères les plus éloignées aussi bien que la Chine. Dépouillez donc ces vues étroites et ces sentimens de vil égoïsme que vous inspire la vue des frontières et des limites[1]. »


La politique des nations civilisées, disons plus, la politique des nations chrétiennes, est-elle plus éclairée ? Tiendrait-elle un langage plus élevé, plus noble, plus libéral ? Et si ce langage est sincère, ne sommes-nous pas en droit d’attendre du triomphe de l’insurrection l’anéantissement des préjugés nationaux, l’ouverture de la Chine ? Si ce langage est sincère !… C’est la question qui domine tout le sujet, et à laquelle on voudrait qu’il fût possible de répondre par l’affirmative.

Pour terminer l’exposé du système politique de Taï-ping-ouang tel qu’il nous apparaît d’après ses écrits, il reste à parler de son gouvernement et de l’organisation de son armée. On ne possède encore à cet égard que des données insuffisantes. C’est ainsi par exemple que l’on sait les titres des fonctionnaires qui agissent sous ses ordres ; mais la nature des emplois qu’ils remplissent nous est très imparfaitement connue, bien que les titres mêmes de ces emplois, les insignes qui les distinguent, les circonstances où ils ont été créés, et où se trouvent en ce moment les affaires de l’insurrection, nous mettent en droit de conjecturer qu’ils ont été jusqu’ici presque exclusivement militaires. Ils deviendront certainement de plus en plus pacifiques, à mesure que les bases sur lesquelles repose le trône de Taï-ping-ouang acquerront plus de solidité, et que le bruit des batailles s’éloignera de Nankin, où le réformateur a établi le siège de sa puissance. Tant que le canon grondera dans les provinces environnantes,

  1. Déclaration impériale de Taï-ping. — Ode de la dynastie Taï-ping. — Ode pour la jeunesse. — Livre des décrets célestes.