Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/359

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été, en diverses circonstances, hautement avoués ; un de ses ministres, le roi-kan (kan-ouang), non content de lui proposer l’interdiction de la vente des spiritueux et de l’opium, le châtiment de l’infanticide et l’abolition de la maxime désolante qui fait peser sur le fils la responsabilité du crime de son père, vient de lui recommander publiquement des institutions dont le patronage honorerait les souverains éclairés de l’Europe, — l’émancipation graduelle de la presse fonctionnant sous un contrôle intelligent et libéral, 1 ! abolition légale et définitive de toutes les distinctions offensantes pour les nations étrangères, l’établissement d’un réseau de grandes routes et d’un service de poste actif et périodique, la création d’hospices et de diverses associations de bienfaisance, la fondation de tout un système d’encouragement pour les grandes entreprises industrielles qui ont renouvelé en cinquante ans la face de l’Europe. On croit rêver quand on lit le curieux rapport du roi-kan, et quand on pense que de tels conseils, évidemment dictés par les enseignemens des missions protestantes, ont pu être donnés par un ministre chinois à son souverain. Et cependant Taï-ping-ouang n’a pas borné à l’autorisation qui a permis cette publication officielle les témoignages des sentimens favorables que sa politique lui inspire à l’égard des Européens. Toutes les fois que nos voyageurs et nos missionnaires se sont présentés sans armes à ses avant-postes, ils ont été accueillis avec empressement, conduits en présence de ses généraux, traités avec déférence, écoutés avec une respectueuse attention. En 1860, M. Holmes a passé quelques jours à Nankin et reçu de ses principaux conseillers des marques d’une intimité presque familière. Il y a quelques mois à peine, Taï-ping-ouang admettait lui-même dans son palais M. Roberts et ordonnait de vive voix à son entourage de montrer au courageux missionnaire les égards que méritaient son caractère, sa nationalité et la noblesse de ses intentions[1]. Dans toutes les circonstances où le hasard nous a mis en relations avec les rebelles, les officiers de Taï-ping-ouang nous ont prodigué les assurances les plus amicales et nous ont offert de conclure un traité qui unît leur cause à la nôtre par les liens d’une fraternelle alliance. Ils n’ont même pas voulu paraître nous garder rancune des revers que notre prudence leur avait infligés. Repoussé de Shang-haï par les canons de la France

  1. Nous ne savons pas si M. Roberts a reconnu dans Taï-ping-ouang le jeune homme qui assistait, il y a treize ans, à ses leçons avec une assiduité si exemplaire. « Lorsqu’on m’introduisit en sa présence, dit-il dans la relation de son entrevue, je fus étonné de voir un personnage d’une aussi grande mine. La stature de Taï-ping-ouang est élevée et sa taille bien prise ; de belles moustaches noires relèvent admirablement la beauté de ses traits ; sa voix est agréable. Nous nous entretînmes exclusivement de matières religieuses. Sa théologie, je dois l’avouer, ne me parait pas très correcte ; mais je ne négligeai aucune occasion d’en corriger les erreurs. »