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Certes la matière est loin d’être épuisée, et il y a encore beaucoup à faire pour tirer de son obscurité séculaire la figure de Roger Bacon. La recherche pourtant nous a paru assez avancée pour essayer de donner une idée du docteur admirable, de raconter les vicissitudes de sa destinée, de caractériser enfin l’œuvre trop oubliée du plus hardi génie que le moyen âge ait enfanté.


I

On sait au juste où naquit Roger Bacon : ce fut à Ilchester, dans le Sommersetshire. La date de sa naissance est moins bien connue ; la plus probable est 1214. Il était d’une famille noble, riche et considérée. Son frère aîné joua un rôle dans les discordes civiles du règne d’Henri III ; il prit parti pour le roi contre les barons.

Roger, né cadet et animé d’une vocation ardente pour les études, fut destiné à l’église et envoyé par sa famille à l’université d’Oxford. Le collège de Morton et celui du Nez de Bronze, Brazen nase hall, se disputent encore l’honneur de l’avoir élevé. Dès cette époque lointaine, Oxford se signalait déjà par le goût des langues et des sciences mathématiques, et surtout par un esprit particulier d’indépendance et de liberté dans les choses spéculatives comme dans les choses pratiques. Roger y trouva les maîtres qui convenaient le mieux au tour naturel de son génie et de son caractère, Robert Bacon, son parent (probablement son oncle), Richard Fitzacre le dominicain, Adam de Marsh, Edmond Rich, et entre tous ce fameux Robert Grosse-Tête, évêque de Lincoln, théologien passionné pour les lettres, caractère énergique et hardi, si connu par ses démêlés avec le pape Innocent IV, qu’il osa un jour qualifier d’hérétique et d’antéchrist.

L’esprit de Roger Bacon se déploya tout à l’aise dans cette atmosphère de science curieuse et de libre critique. Nous le voyons figurer à côté de son parent Robert dans une scène solennelle, où il prélude par des hardiesses politiques à des témérités encore plus dangereuses.

En 1233, le jour de la Saint-Jean, le roi Henri III eut une entrevue avec les barons mécontens ; il lui fallut subir un long sermon, de sévères réprimandes. Le prédicateur qu’on avait choisi pour cette mission était le frère Robert, le parent de Roger Bacon. Le sermon à peine fini, le moine apostropha directement le roi, et lui déclara que toute paix durable était impossible s’il ne bannissait de ses conseils l’évêque de Manchester, Pierre Desroches, objet de la haine des Anglais. « Les assistans se récriaient à tant d’audace ; mais le roi, se recueillant en lui-même, sut se faire violence. Le voyant