Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/373

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que nous vous avons prié de communiquer à notre cher fils Rémond de Laon quand nous étions légat. Nous voulons encore que vous vous expliquiez dans vos lettres sur les remèdes qu’on doit appliquer à ces maux si dangereux que vous nous signalez, et qu’avec le plus de secret possible vous vous mettiez en devoir sans aucun délai.

« Donné à Viterbe, le 10 des calendes de juillet, de notre pontificat la deuxième année. »


En lisant cette lettre, si honorable pour Clément IV, on remarquera qu’il n’ose pas exiger la délivrance de son protégé. Lui le vicaire de Jésus-Christ, le successeur de Grégoire VII, il s’humilie jusqu’à demander le secret à un moine de Saint-François, tant était grand le prestige de cet ordre redoutable, qui forçait les chefs de l’église, les empereurs et les rois à compter avec lui : immense armée, à la fois disciplinée et remuante, que plusieurs papes eurent la pensée de détruire, sans en avoir le courage ou le pouvoir, et qui se crut un instant à la veille de substituer à l’ordre établi en Europe une sorte de république universelle dont le général des franciscains aurait été le chef ! Aussi bien la lettre de Clément IV fut loin de mettre un terme aux épreuves de Roger Bacon. Elle ranima son courage, mais elle n’améliora pas, bien plus, elle aggrava sa position.

On le gardait à vue, on lui défendait de communiquer avec le dehors, on l’exténuait de jeunes et de macérations. Il se mit à l’œuvre pourtant ; mais comment se procurer les livres, l’argent et jusqu’au parchemin nécessaire ? Il lui fallait des aides pour ses expériences et ses calculs, on les lui refusait ; il lui fallait des copistes, il ne savait où en trouver : dans son ordre, ils eussent livré ses écrits aux supérieurs ; hors de son ordre, il n’avait que les copistes de Paris, mercenaires renommés par leur infidélité, et qui n’auraient pas manqué de rendre publics ces écrits dont le pape devait avoir les prémices. Il lui fallait enfin de l’argent, et ce fut là de toutes les difficultés la plus dure à surmonter. Lui, simple moine, il n’avait rien et ne pouvait rien avoir. Il excusait le saint-père, « qui, assis au faîte de l’univers et l’esprit embarrassé de mille soucis, n’avait pas pensé à lui faire tenir quelque somme ; » mais il maudissait les intermédiaires qui n’avaient rien su dire au pontife et ne voulaient pas débourser un seul denier. Il eut beau leur promettre d’en écrire au pape et de les faire rentrer dans leurs avances ; il eut beau s’adresser à son frère, qui était fort riche, mais que la guerre avait ruiné, puis à plusieurs prélats, à ces personnages, écrivait-il au pape avec amertume, dont vous connaissez le visage, mais non pas le cœur : partout il fut éconduit ; sa probité même fut soupçonnée. « Combien de fois n’ai-je point passé pour un malhonnête homme ! Combien