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Roger Bacon ne réduit pas ses vues astronomiques à la question particulière du calendrier. Il attaque sur tous les points le système de Ptolémée, et, ce qui est fort à son honneur, il l’attaque à l’endroit même qui devait attirer le regard sévère de Copernic et susciter le nouveau système du monde. Le cosmos de Ptolémée, avec ses emboîtemens infinis, avec ses excentriques et ses épicycles, lui paraît artificiel, compliqué, trop asservi aux apparences des sens et infiniment éloigné de la simplicité de la nature.

Si en astronomie Roger Bacon annonce Copernic, l’on peut dire qu’en optique il prépare Newton. À la vérité, les travaux des Arabes dans l’une et l’autre science, particulièrement ceux d’Alpetragius et d’Alhasen, lui ont beaucoup servi ; mais il a le mérite, éminent pour l’époque, d’avoir décrit le mécanisme délicat et compliqué de l’œil avec une rare précision et soupçonné l’action de la rétine. Ce n’est pas non plus un faible service d’avoir soutenu contre Aristote que la propagation de la lumière n’est pas instantanée[1], et que la lumière des étoiles leur appartient en propre et ne leur vient pas du soleil, enfin d’avoir essayé de rendre compte de la scintillation stellaire et d’expliquer le phénomène si curieux, et encore si discuté, des étoiles filantes. À son avis, ces météores ne sont pas de véritables étoiles, mais des corps relativement assez petits, corpora parvœ quantitatis, qui traversent notre atmosphère et s’enflamment par la rapidité même de leur mouvement.

En fait d’optique, on a attribué à Roger Bacon l’invention des verres de lunette, celle du microscope et du télescope. On voit en effet dans le préambule de l’Opus tertium qu’en envoyant son ouvrage à Clément IV, Roger avait chargé Jean, son élève chéri, de remettre au saint-père une lentille de cristal[2] ; mais cette indication est vague. Ce qui est hors de contestation, c’est que Roger avait étudié de près le phénomène des réfractions, particulièrement celle qui concourt à produire l’arc-en-ciel, et cherché la loi de déviation des rayons lumineux passant à travers l’atmosphère.

Sa part d’invention en chimie n’est pas aussi facile à démêler[3].

  1. M. de Humboldt ayant attribué l’honneur de cette découverte à Bacon de Verulam (Cosmos, t. III, p. 86), je citerai le texte de Roger Bacon : « Tous les auteurs, dit-il, y compris Aristote, prétendent que la propagation de la lumière est instantanée ; la vérité est qu’elle s’effectue dans un temps très court, mais mesurable. » (Opus Majus, p. 298 et 300.)
  2. « Puer vero Johannes portavit crystallum sphœricum ad experiendum, et instruxi eum in demonstratione et figuratione hujus rei occultae. » Opus tertium, ch. XXXI du manuscrit de Douai. Comparez pages 110 et 111 de la grande édition de Londres, dirigée par M. J.-S. Brewer, Londres, 1859.
  3. Voyez les intéressantes leçons de philosophie chimique données au Collège de France par M. Dumas.