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nées et à quelques égards la Provence, formant ensemble le quart à peu près du territoire, avaient conservé un reste de leurs anciennes franchises ; on les appelait les pays d’états. Les trois autres quarts formaient ce qu’on appelait, par un singulier abus de mots, les pays d’élection. Les généralités étaient divisées en élections, qui correspondaient à peu près à nos arrondissemens d’aujourd’hui ; mais si jamais le principe électif avait eu une part quelconque à leurs affaires, il n’en restait que le nom. Il n’y a qu’un cri dans tout le XVIIIe siècle contre l’administration dévorante des intendans ; instrumens passifs de la tyrannie fiscale, ce fléau habituel des gouvernemens absolus, ils épuisaient d’hommes et d’argent les malheureuses provinces qui leur étaient livrées.

L’horrible état où ils avaient réduit la France dans les dernières années du règne de Louis XIV avait soulevé d’indignation tous les nobles cœurs. Boisguillebert et Vauban, dans des mémoires admirables, signalèrent énergiquement les vices du système d’impôts en vigueur ; Boulainvilliers et Saint-Simon attaquèrent les mêmes abus au nom de la noblesse, non moins écrasée que le reste de la nation ; mais celui qui indiqua le plus sûr remède, ce fut Fénelon. Dans les plans de réforme qu’il écrivit secrètement pour le duc de Bourgogne, il proposait comme une des premières mesures à prendre pour relever la patrie le rétablissement d’états particuliers dans les provinces. Ce grand esprit avait senti que la réforme des impôts ne pouvait se faire efficacement que par des corps électifs. Il voulait en même temps réunir les états-généraux du royaume ; mais ces grandes assemblées nationales ne devaient avoir à ses yeux toute leur force qu’autant qu’elles s’appuieraient sur des conseils provinciaux. Il proposait de diviser la France en vingt provinces au moins, ayant chacune ses états, et, la composition des états du Languedoc étant alors justement célèbre, il voulait constituer les autres sur ce modèle. Fénelon terminait cet aperçu de génie par ce mot, qui résumait tous les griefs : Plus d’intendans !

On sait par quel malheur les projets de Vauban, de Saint-Simon, de Fénelon, des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, de tous les hommes éclairés de ce temps, furent étouffés. En se fermant prématurément sur le duc de Bourgogne, la tombe engloutit tout espoir de régénération immédiate. Pendant le long règne de Louis XV, le régime absolu fondé par Richelieu et par Louis XIV se maintint à peu près sans altération. Néanmoins les idées contraires ne périrent pas ; elles firent explosion vers le milieu du siècle dans les écrits des économistes : l’idée des états provinciaux entre autres fut développée dans un mémoire spécial du marquis de Mirabeau, publié en 1750 et réimprimé plusieurs fois à la suite de l’Ami des hommes. L’au-