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partager. Peu de lignes suffiront ainsi pour rappeler quelle fut la vie politique de lord Aberdeen jusqu’à l’époque où il me fut donné d’entrer en relations personnelles avec lui.


I

Né à la fin de 1784, il n’avait que sept ans à la mort de son père, qui lui désigna pour tuteurs les deux ministres les plus considérables de ce temps, M, Pitt et M. Dundas, depuis lord Melville. À l’âge de dix ans, il fut placé par eux au collège de Harrow. Là comme plus tard, au collège de Saint-John, à Cambridge, il fut le condisciple de lord Palmerston ; mais il ne paraît pas qu’aucune relation se soit établie entre ces deux premiers ministres futurs de l’Angleterre. Le temps du jeune lord Aberdeen, quand il lui était permis de venir à Londres, se passait le plus souvent soit dans les bureaux de la trésorerie, soit dans ceux de l’amirauté, sous la surveillance de l’un ou de l’autre de ses tuteurs. Ainsi dès l’enfance il recueillait, presque à son insu, les grandes traditions du gouvernement de son pays. Il voyait à l’œuvre, dans une intimité absolue, les hommes qui dirigeaient la plus formidable guerre des temps modernes : grande école, dont aucun enseignement ne fut perdu pour lui. On a imprimé à tort qu’il avait fait partie de la mission de lord Cornwallis, à Paris, en 1801. Il est vrai qu’au moment de la paix d’Amiens il vint deux fois à Paris, mais sans aucun caractère officiel. Il fut pourtant présenté à quelques-uns des principaux personnages de l’époque et au premier-consul lui-même. La reprise imminente des hostilités devait rendre impossible au jeune voyageur le grand tour européen, complément indispensable de l’éducation patricienne en Angleterre. Cependant la mer restait libre. Devançant Childe-Harold, lord Aberdeen parcourut la Grèce, que bien peu d’étrangers avaient visitée jusqu’alors, la Turquie, la Russie et les côtes de la Baltique. Le romanesque intérêt de l’inconnu s’attachait encore à ces aventureuses explorations. Aussi attirèrent-elles sur lui l’attention de la société de Londres et lui valurent-elles, de la part de lord Byron, dans sa fameuse satire, le sobriquet du « thane voyageur » (the travelled thane), qu’il a conservé jusqu’à la fin dans la polémique familière de la presse britannique. C’est l’aspect de la Grèce, parmi ces lointaines contrées, qui produisit sur lui l’impression la plus vive et la plus durable. Dès son retour en Angleterre, il fonda la Société Athénienne, dont chaque membre devait avoir visité Athènes. Il contribua de la sorte à inspirer la mode de ces pèlerinages comme de ces sympathies helléniques qui valurent plus tard à l’Angleterre un des plus beaux poèmes de sa langue, et à la Grèce sa laborieuse émancipation quand la France