Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/44

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les voit aller de Limoges en Roussillon, du Roussillon en Hainaut, du Hainaut en Lorraine, et à chaque variation ils perdent le fruit des connaissances locales qu’ils peuvent avoir acquises. »

On voit que Necker, dont l’esprit pratique avait tout prévu, ne demandait pas la suppression des intendans ; cette institution tenait par un lien étroit à une autre plus puissante encore, celle du conseil d’état ou conseil du roi, dont les intendans n’étaient que les délégués, et il fallait s’attendre à une résistance violente de la part du corps tout entier. Les intendans avaient d’ailleurs une utilité réelle, comme représentans de l’autorité royale, à la seule condition que leur pouvoir cessât d’être absolu ; plusieurs d’entre eux, poussés par le mouvement général des esprits, s’occupaient sérieusement d’intérêts publics, à l’exemple de Turgot, qui avait commencé par là sa carrière. Le ministre n’avait pas, cru devoir s’occuper encore des assemblées secondaires de paroisse et d’arrondissement dont Turgot avait proposé la création ; il s’était borné, pour ne pas tout faire à la fois, aux assemblées de province, pensant bien que le reste viendrait naturellement plus tard. Quant à la composition de ces assemblées, il acceptait le principe des trois ordres, mais en y apportant un changement profond qui pouvait aussi s’appuyer sur une origine historique. Dans les états-généraux du royaume et dans la plupart des états provinciaux, les trois ordres délibéraient à part. Dans une seule province, le Languedoc, les états ne formaient qu’une seule assemblée, où l’on votait par tête et non par ordre, et les députés du tiers-état y égalaient en nombre ceux du clergé et de la noblesse. C’est sur ce modèle que Fénelon avait proposé, dans ses plans de réforme, de constituer tous les états provinciaux ; c’est aussi ce modèle que Necker adopta, érigeant en principe, dès 1778, ce qui devait triompher dix ans plus tard dans la formation de l’assemblée nationale, la double représentation du tiers, la réunion des ordres et le vote par tête.

Ces considérations décidèrent Louis XVI, et le 12 juillet 1778 fut rendu un arrêt du conseil portant établissement d’une assemblée provinciale dans le Berri. Cette province, justement regardée comme une des plus pauvres et des plus malheureuses, avait été choisie exprès pour faire l’essai du nouveau système. L’assemblée provinciale, devait se composer de l’archevêque de Bourges, président, et de onze autres membres du clergé, de douze gentilshommes propriétaires et de vingt-quatre membres du tiers-état, dont douze députés des villes et douze propriétaires des campagnes, en tout quarante-huit. Les suffrages devaient se compter par tête. La distinction des ordres se trouvait ainsi atténuée et presque détruite, puisque les voix étaient égales et que le tiers-état avait à lui seul autant de suffrages que les deux autres ordres réunis. Le roi devait désigner lui-