Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/443

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« Londres, le 29 juillet. — J’ai cru devoir vous donner officiellement un compte détaillé de ma grande conversation d’hier avec sir Robert Peel. Je l’ai trouvé profondément découragé et irrité, sensiblement plus que lord Aberdeen, et il ne faut pas oublier que c’est lui qui gouverne. J’ai plutôt atténué dans ma dépêche, et pourtant il me parait bon que vous puissiez montrer dans l’occasion à quel point la politique de la paix hostile compromet les relations de la France. »


Il est peu dans les usages, pour un chef de mission, soit permanent, soit temporaire à Londres, de rechercher une entrevue avec le premier lord de la trésorerie. La gravité des circonstances générales et un orage qui s’annonçait dans le parlement anglais sur la question du jour m’avaient décidé à le faire dans cette occasion avec l’entier assentiment de lord Aberdeen. Je crois devoir donner ici quelques extraits de la dépêche où je rapportai mon entretien avec sir Robert Peel. Tout ce qui fait parler et pour ainsi dire revivre aujourd’hui ces hommes illustres et trop tôt ravis à l’estime universelle ne saurait être dépourvu d’intérêt.


«….. Pour la première fois peut-être, monsieur le ministre, depuis sa rentrée aux affaires, sir Robert Peel exposait sans réserve sa pensée sur l’état actuel de nos relations. L’influence dominante qu’exerce le premier ministre dans les conseils de la Grande-Bretagne et l’irritation profonde qui se révélait dans chacune de ses paroles me font un devoir de rapporter à votre excellence, avec quelques développemens, la substance d’un entretien qu’il a prolongé, malgré sa réserve et son laconisme habituels, pendant plus de trois quarts d’heure. J’ai commencé, d’après le désir de sir Robert Peel, par rappeler les difficultés de la question de Portendick dans les mêmes termes à peu près que durant l’entretien avec lord Aberdeen, dont j’ai déjà eu l’honneur de rendre compte à votre excellence… Sir Robert Peel m’a écouté, le regard baissé, selon son usage, et avec la plus grande attention, mais sans qu’une seule fois sa physionomie trahît l’adhésion la plus légère aux considérations que je développais. Il m’a dit à son tour qu’ayant dû se rendre compte de l’affaire de Portendick pour répondre aux interpellations annoncées, il avait été plus surpris encore qu’affligé de l’état actuel de cette question. Tant de promesses réitérées du gouvernement français établissaient à ses yeux la justice des demandes anglaises ; tant de retards successifs, suivis enfin d’un ajournement indéfini, équivalaient à une déclaration formelle du gouvernement du roi que les rapports des deux pays ne lui permettaient plus de faire droit aux plus justes réclamations suscitées par la conduite de ses propres agens. Sans doute il n’ignorait pas que de récens événemens avaient ranimé en France une méfiance et une antipathie générales contre l’Angleterre ; dans plusieurs occasions, le gouvernement du roi s’était chargé de le lui manifester. « Votre ordonnance qui frappe la branche la plus importante de notre commerce avec vous, a-t-il continué, c’est la guerre ! guerre de prohibitions mutuelles qui a ses précédens, ses usages, ses représailles. Je puis ouvrir les marchés de la Grande-Bretagne