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même les seize premiers membres, qui devaient désigner ensuite les trente-deux autres. L’assemblée devait se réunir tous les deux ans, et la session ne durait pas plus d’un mois ; dans l’intervalle des sessions, un bureau d’administration, composé du président et de sept membres, assistés de deux procureurs-syndics et d’un secrétaire, devait veiller à l’exécution des délibérations. Les principaux objets soumis au vote étaient la levée et la répartition des impôts, la construction des chemins et les établissemens de charité.

Comme toutes les mesures de progrès pacifique et de sage conciliation, cette constitution donna lieu à deux reproches opposés. Les partisans exclusifs de l’ancien régime s’élevèrent contre le mélange des ordres et la double représentation du tiers ; les novateurs blâmèrent la conservation des ordres et le nombre accordé aux représentans des deux ordres privilégiés. Ces deux opinions se réfutaient l’une par l’autre. On peut se faire une idée assez exacte de l’état de la propriété avant 1789 en divisant le sol national en cinq portions à peu près égales, une possédée par la couronne et les communes, une par le clergé, une par la noblesse, une par le tiers-état et une par le peuple des campagnes. Or, les assemblées provinciales devant représenter avant tout la propriété, il était assez naturel que les différentes classes de propriétaires y parussent dans la même proportion que sur le sol, c’est-à-dire, déduction faite des domaines de l’état et des communes, le clergé pour un quart, la noblesse pour un quart, et le tiers-état, qui comprenait à la fois la bourgeoisie et le peuple, pour la moitié. On revenait ainsi par une autre voie à l’idée de Turgot. Ce n’était pas l’affaire des opinions radicales, qui opposaient toujours le petit nombre des deux premiers ordres à la masse de la nation, sans tenir compte de la distribution de la propriété, ou plutôt en la supportant impatiemment et en nourrissant l’espérance de la changer. Ce n’est pas ainsi non plus que raisonnaient le parlement, la cour, la majorité des deux premiers ordres, en rappelant sans cesse l’histoire, la tradition, et ce qu’on appelait pompeusement, avec un mélange d’exagération et de vérité, la constitution du royaume.

On remarquera sans doute la place que Necker, quoique Genevois et protestant, avait cru devoir donner au clergé. Aux états de Languedoc, la présidence appartenait à l’archevêque de Narbonne, et le ministre avait voulu rester fidèle jusqu’au bout au modèle qu’il avait choisi. Dans les projets de Fénelon, c’était aussi l’évêque qui devait présider, et Louis XVI, profondément imbu des souvenirs du duc de Bourgogne, avait tenu sans doute à ne pas s’en écarter. Il ne faut pas oublier que le clergé était alors puissant par ses richesses et la haute naissance de la plupart de ses chefs, qu’il avait de tout temps exercé en France le pouvoir politique, et qu’on rencontrait