Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/450

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du duc de Broglie, de la reine Marie-Amélie, that angel on earth, à laquelle il avait voué un culte tout particulier, « la seule personne éminente de notre siècle, disait-il, contre laquelle le souffle de la calomnie n’a jamais osé s’élever, » — de la noble lutte que soutenaient le roi Louis-Philippe et M. Guizot dans les intérêts les plus chers de l’humanité. Quelle en serait la fortune, quelle en serait l’issue ? Car souvent nous nous efforcions ensemble de trouver, à l’aide des enseignemens du passé, quelques lueurs dans les ténébreux abîmes de l’avenir. Le sagace témoin de tant de bouleversemens ne scrutait jamais sans inquiétude les destinées futures de la France. Il croyait le sol trop profondément ébranlé par les secousses révolutionnaires pour pouvoir longtemps soutenir aucun des édifices que notre génération tenterait d’y consolider ; mais il désirait vivement le triomphe de la monarchie constitutionnelle, qui offrait tant de garanties pour le repos, pour la grandeur de la France, comme pour la paix qu’il souhaitait si ardemment. Cette paix était dans mes vœux aussi profondément que dans les siens. Toutefois, avec l’abandon qui faisait le charme de nos entretiens, je ne pouvais dissimuler à lord Aberdeen qu’à mes yeux la paix, que je chérissais comme lui, existait à des conditions fort différentes pour les deux pays. Dans les étroites limites des traités de 1815, — je le reconnaissais pleinement, — la France avait pu développer d’une façon réellement merveilleuse ses immenses richesses intérieures. Pour la première fois dans sa grande histoire, elle était devenue, grâce à la vivifiante influence de ses institutions libérales, puissante par l’accroissement inouï de la prospérité et du crédit publics autant que par l’appareil de ses forces militaires. Il était tout simple cependant que ceux qui, comme moi, la servaient avec ardeur n’acceptassent point comme le dernier mot de ses destinées une situation européenne fondée sur sa défaite. Toute alliance, toute bonne intelligence permanente avec elle ne pouvaient reposer que sur une appréciation exacte de ce fait essentiel et sur un esprit équitable de concession aux changemens que le temps, les circonstances et nos propres efforts pourraient amener en Europe. Déjà je voyais poindre en Angleterre une disposition à répudier les arrangemens de 1815 dans ce qu’ils avaient de suranné et d’excessif. Le progrès de cette tendance devait être à mes yeux la garantie la plus solide de la durable alliance que nous souhaitions.

Quoi que l’on fasse, les intérêts de deux grands pays comme la France et l’Angleterre ne peuvent être identiques. Je ne citerai donc pas, tant s’en faut, comme un reproche pour sa mémoire, la divergence qui se manifestait entre lord Aberdeen et moi, lorsque nous parlions en principe de la situation européenne. Sans doute il était