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de l’Europe, telle que l’envisageait et la maintenait lord Aberdeen, plus il me semblait inutile et puéril pour notre diplomatie de chercher à l’ébranler, alors que la France elle-même ne hâtait nullement de ses vœux le moment où s’ouvrirait de nouveau pour elle la périlleuse carrière des aventures. Lorsque, dans un état de désarmement absolu, la Grande-Bretagne exerçait un tel ascendant, comment lui demander d’en sacrifier les conditions ? Le temps seul pouvait en déterminer la durée, et le temps a prononcé. J’ai sous les yeux, au moment où j’écris, la principale feuille de Londres ; j’y trouve ces propres paroles : « Les dépenses de notre armée, de notre marine, de nos services divers, sont énormes, épouvantables, terribles, exorbitantes. Jamais ce pays n’a fait l’expérience de rien de semblable. » Je ne m’arrête pas à rappeler ce qu’étaient en 1843 les charges correspondantes, et je laisse aux détracteurs du sage ministre le soin de dresser ce simple tableau comparatif. Pour moi, je le répète, j’avais moins à cœur de voir de tels changemens s’opérer par quelque vertu magique que de me rendre fidèlement compte de la situation, et de m’assurer si elle était compatible avec d’intimes relations entre les deux pays. Le gouvernement français, quelque bien disposé qu’il fût pour l’Angleterre, ne songeait nullement à licencier son armée ni à désarmer ses vaisseaux. Sans briser encore les grandes alliances qui lui tenaient lieu d’armemens, le cabinet anglais nous proposait-il cette intimité nouvelle aux seules conditions acceptables pour le puissant et glorieux pays que je servais ? Mon opinion sur ce point se forma lentement, avec une circonspection extrême, je le crois du moins ; mais jour par jour la conviction me gagna, et elle devint à la fin chez moi profonde et permanente. Pour la France étaient au fond la grande considération, les grands égards, les grandes prévenances. En tout, depuis l’action commune sur les plus importantes questions jusqu’au plus infime détail de l’étiquette et du cérémonial, pour elle était le pas, pour elle le premier rang. Le soin le plus scrupuleux de sa dignité lui permettait donc d’entrer dans ces rapports plus intimes autant que son intérêt le lui commandait. Il ne s’agissait point d’une alliance solennellement formulée. L’union des deux cours, nouvelle peut-être dans le monde par son caractère personnel et affectueux, devait aussi adopter insensiblement une désignation nouvelle, qui prit précisément naissance à Haddo-House. Tenant surtout à me convaincre de son entière sincérité dans les dispositions qu’il nous témoignait, lord Aberdeen m’avait un matin montré une longue lettre des plus confidentielles qu’il écrivait à son frère, sir Robert Gordon, ambassadeur à Vienne, pour définir les relations qu’il désirait désormais entretenir avec le gouvernement français. Il se servait de cette expression : A cordial good understanding.