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À son tour M. Guizot la releva, et elle devint plus tard aussi familière dans la politique que dans la diplomatie. On l’a souvent critiquée comme peu conforme à l’idiome national. Je n’ai garde d’entrer, sur ce point ou sur aucun autre, en lice avec les grammairiens. On a aussi accusé les deux cabinets et un illustre ministre surtout d’avoir trop souvent et trop hautement proclamé ce terme comme le mot d’ordre de leur politique. Sans doute, dans les pays libres, les gouvernemens, en exprimant nettement leurs vues, alimentent les discussions, souvent même les passions ; mais, comme c’est leur mission et leur devoir d’éclairer l’esprit public, il n’est point indifférent que les voies les plus salutaires soient par eux clairement indiquées. En définitive, cette bonne intelligence, si essentielle aux deux pays et cultivée depuis par des gouvernemens si divers, a gagné plus qu’elle n’a souffert à être ouvertement et fièrement érigée en principe. Elle devait momentanément être troublée, je le sais ; toutefois les deux peuples, l’Europe, le monde entier, lui ont dû les années les plus paisibles, les plus prospères, les plus belles que notre génération ait connues.


III

Des crises nouvelles ne se firent pas longtemps attendre. Dès l’été de 1844, la France se trouva engagée dans un différend des plus graves avec le Maroc. Nos frontières algériennes étaient continuellement menacées, souvent même envahies par des tribus placées sous la dépendance de l’empereur marocain : notre vaillant et infatigable adversaire, Abd-el-Kader, trouvait chez elles tantôt des complices, tantôt des auxiliaires très efficaces. De fréquentes représentations avaient été adressées au gouvernement marocain, appuyées enfin par des démonstrations navales et militaires. Le droit de la France était incontestable, ses réclamations justes et modérées, et elles étaient communiquées au cabinet britannique avec une loyauté et une confiance qui certes n’ont jamais été surpassées. Cependant, dans le parlement comme dans le public anglais, une inquiétude et une irritation extrêmes ne tardèrent point à se manifester et à pénétrer de là jusque dans les conseils de la reine. Nous étions très près alors de la conquête de l’Algérie, et l’occupation permanente de ce pays, en dépit des assurances que le cabinet conservateur croyait avoir reçues du gouvernement de la restauration, était un fait à peine encore accepté par lui. On s’obstinait à ne voir dans la lutte qui éclatait que des projets nouveaux d’agrandissement territorial, cette fois absolument inadmissibles pour la Grande-Bretagne. Des démonstrations,