Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/455

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des armemens étaient réclamés à grands cris, et plus d’un ministre influent les jugeait déjà indispensables. « Jamais je ne vois ou ne rencontre lord Aberdeen, écrivais-je le 29 juillet 1844, sans qu’il me répète que c’est là la plus grosse question qui se soit élevée entre nous depuis 1830. Ce matin encore il me disait : « Je veux éviter le plus possible de susciter des difficultés extérieures à M. Guizot ou de prévoir les extrémités, même les plus inévitables ; mais, de vous à moi, soyez sûr que l’occupation définitive d’un point quelconque de l’empire marocain par la France serait forcément un casus belli, et que, dans la mesure même où vous paraîtriez prendre pied définitivement, nous serions contraints de faire des démonstrations de guerre proportionnelles. Je me montre toujours très réservé, très convaincu que vous voulez avant tout la paix avec le Maroc, moins persuadé qu’elle sera toujours possible, et prêt à réclamer au besoin le droit entier et sans limites de la guerre, si elle devenait inévitable. »

Le jour même où je résumais ainsi la situation, la nouvelle parvenait à Londres d’un incident très fâcheux, et qui absorba, bien plus qu’il ne méritait de le faire, l’attention de l’Europe entière. L’Angleterre et son gouvernement avaient, dès le principe, vu d’un mauvais œil l’occupation de Taïti par la France. Ici encore notre droit était incontestable, car la Grande-Bretagne avait formellement refusé le protectorat de ces îles. Converties toutefois à la religion protestante, elles étaient considérées, par une portion notable et très exaltée du public anglais, comme unies à l’Angleterre par des liens moins officiels, mais presque aussi sacrés que ceux d’une nationalité commune. Le principal des missionnaires et des résidens anglais avait été nommé consul auprès de la reine Pomaré et aux îles des Amis, comme plus tard aux îles des Navigateurs, et c’était lui précisément qui venait de débarquer pour rendre compte du flagrant outrage dont il se disait la victime. Selon la version qu’il fit circuler, il avait été, sans forme de procédure aucune, arrêté, jeté et détenu durant six jours dans une sorte de cachot où on lui donnait à manger par un trou dans le plafond, et où, gravement malade, il ne pouvait consulter son médecin que par le même orifice. Il avait été de plus, dans une proclamation publique, rendu responsable sur sa tête des progrès d’une insurrection qui éclatait à l’autre extrémité de l’île, et en définitive expulsé du lieu où depuis longtemps il avait placé sa fortune et ses intérêts. À cette occasion, sir Robert Peel s’exprima avec la vivacité qui a caractérisé plus d’une fois ses paroles publiques sur les questions internationales. Il déclara en effet, au milieu des applaudissemens enthousiastes du parlement, qu’un grossier affront (a gross outrage accompanied with gross indignity)