Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/469

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John and I are one mind, — me dit-il le dernier jour, tandis que nous tentions de tirer ensemble l’horoscope des prochaines relations des deux cours. L’expression était juste, en tant qu’elle s’appliquait à l’élévation commune de l’esprit, au dédain commun pour le côté tracassier et personnel des affaires. Quant à l’appréciation des intérêts européens de l’Angleterre, les deux hommes d’état étaient au fond d’une école différente.

Malgré toute la latitude que permettent, que commandent même les nobles usages de la société de Londres, je savais combien sont délicates les relations d’une ambassade étrangère avec les chefs d’un parti éloigné du pouvoir, même lorsque ceux-ci, comme le proclamaient sir Robert Peel et lord Aberdeen, annoncent l’intention d’appuyer leurs successeurs. Je savais aussi qu’en pareille matière nul n’était juge plus compétent que lord Aberdeen lui-même. Je lui abandonnai donc le soin de régler ce que deviendraient désormais nos rapports.

Fidèle aux vues conciliatrices qui l’avaient toujours animé, lord Aberdeen resta préoccupé, même en dehors du pouvoir, de rétablir entre les deux cours les relations amicales si nécessaires à la paix du monde, et M. le duc de Broglie, que, sur la demande du roi et de M. Guizot, une même pensée avait décidé à accepter l’ambassade de Londres quand M. de Sainte-Aulaire la quitta, ne trouva point d’auxiliaire plus efficace. Nous aurions souhaité sans doute parfois que son opinion fût proclamée aussi haut dans le parlement qu’elle était nettement constatée dans la conversation ; mais lord Aberdeen n’était point orateur. Il était d’ailleurs, ainsi que sir Robert Peel, lié et enchaîné par sa sincère intention de prêter tout appui à ses successeurs contre les attaques du parti protectioniste. La fatalité le voulait alors ainsi. Notre monarchie constitutionnelle comptait en Angleterre peu d’adversaires et d’innombrables amis ; mais nos amis étaient de leur nature circonspects, prudens, peu agressifs : parmi nos rares adversaires se rencontrait tout ce que le pays avait de plus passionné, de plus audacieux, de plus entreprenant. « Vous aurez neuf sur dix contre vous, disait un de ses amis à Cromwell. — Oui, mais le dixième tiendra l’épée. » Que de fois l’opinion du grand nombre a été ainsi maîtrisée ! « Jamais nous ne vous avons assez secondés ! s’écria lord Aberdeen après la catastrophe. — Je vous l’ai dit souvent ; maintenant il est trop tard. »

Combien de calamités en effet allait attirer sur l’Europe la chute du gouvernement constitutionnel de la France ! Celui qui les avait conjurées durant tant d’années, le roi Louis-Philippe, arrivait en proscrit sur le sol hospitalier de la Grande-Bretagne. Lord Aberdeen et sir Robert Peel n’étaient pas de ceux que la contagion du malheur