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J’ai atteint, j’ai dépassé même les limites de la tâche que je m’étais assignée, et pourtant je n’ai que bien incomplètement, bien imparfaitement retracé cette belle carrière parcourue pendant cinquante-quatre années sans faste, sans bruit, féconde en résultats obtenus par la plus habile persévérance, et jamais exploités dans un intérêt personnel, jamais étalés avec vanité. C’est le caractère original de la politique de lord Aberdeen et de lui-même, qu’il était sincèrement et qu’il a été constamment à la fois conservateur et libéral, dévoué à l’ordre européen et aux principes sur lesquels il repose, mais attentif aussi à respecter les droits, à tenir compte des intérêts, à ménager les sentimens des peuples divers, et partout défenseur de l’équité, partout ami de la civilisation générale, en même temps que serviteur fidèle de son propre pays. Je me suis surtout attaché, en parlant de lui, à recueillir les souvenirs qui intéressent particulièrement la France ; il appartient à d’autres de faire connaître pleinement cette grande époque et lord Aberdeen lui-même par les documens qu’il a laissés. Si les nombreuses lettres qu’il a écrites à l’occasion des affaires publiques étaient recueillies avec soin, quel trésor serait ainsi accumulé de curieux renseignemens, de sages appréciations, de noble jurisprudence politique ! Souffrira-t-on que cette pure et précieuse lumière soit perdue pour nous et pour la postérité, qu’elle s’éteigne sans retour dans le néant de l’oubli ? Espérons plutôt qu’elle sera vivifiée et entretenue par une pieuse sollicitude. On affirme à Londres que lord Aberdeen a laissé ses papiers politiques sous la pieuse garde de sa propre famille en désignant, pour surveiller toute publication éventuelle, sir James Graham et M. Gladstone, dignes entre tous d’élever à la mémoire de leur chef vénéré un monument digne de lui.


JARNAC.