Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/475

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait une destinée fictive, ils ont une légende qui va se mêler à l’histoire.

Quel esprit curieux, en contemplant le XVIIe siècle dans la suite de ses péripéties, dans ce tumulte de personnages qui se heurtent, se pressent et se succèdent, ne s’est demandé ce qui serait arrivé, si le duc et la duchesse de Bourgogne eussent assez vécu pour régner, et ce qui serait survenu pour la France elle-même du règne de ce petit-fils de Louis XIV, élève de Beauvilliers et de Fénelon, ayant à ses côtés la plus spirituelle et la plus gracieuse des princesses ? La réalité, nous la connaissons : c’est la régence et Louis XV s’endormant dans les voluptés efféminées, tandis que tout se détraque et va vers l’abîme. Le roman de ce qui aurait pu être et de ce qui n’a point été, c’est le règne du duc de Bourgogne, et l’héroïne de ce roman, c’est cette petite princesse de Savoie, véritable enfant gâté de Louis XIV, élève soumise et révoltée de Mme de Maintenon, échappant à toute contrainte par les saillies de son humeur, animant une cour vieillie de sa grâce pétulante, puis disparaissant tout à coup dans la fleur de sa jeunesse, à vingt-six ans : image singulièrement vivante, qui se dégage du déclin d’un grand siècle. La duchesse de Bourgogne est une de ces apparitions charmantes dont je parlais, qui ne font que passer, et dont l’indéfinissable attrait semble se rajeunir sans cesse, tantôt par une notice, tantôt par quelques lettres inédites, tantôt par une de ces fictions qui sont l’illusion de l’histoire. Était-elle accompagnée, quand elle vint en France, d’une demoiselle d’honneur, jeune et intelligente comme elle, qui l’a suivie jusqu’à la mort, puis a raconté ce qu’elle a vu dans des mémoires inconnus jusqu’ici et heureusement tirés de l’oubli ? C’est plutôt, je pense bien, une demoiselle d’honneur de notre temps qui a lu Saint-Simon et Mme de Caylus et bien d’autres, et qui, avec ce qu’elle a lu, a formé ce tissu léger où se dessine encore l’aimable figure.

Ce passage de la duchesse de Bourgogne à la cour de France, ce règne anticipé et interrompu de la vivacité et de la grâce fut le dernier rayon qui éclaira la vieillesse de Louis XIV, de 1696 à 1712, de même que le règne d’une autre princesse, de Madame, duchesse d’Orléans, avait marqué le plus beau moment de sa jeunesse, de 1661 à 1670. On s’est plu longtemps à voir dans cette époque un type de majesté correcte et d’uniforme grandeur, où tout se meut sous le regard et au signal du maître. C’est au contraire une époque pleine de vie et de mouvement, de ce mouvement dont l’unique expression est dans Saint-Simon. Les épisodes s’y multiplient, les personnages s’y pressent comme les événemens, et plusieurs fois l’époque change de physionomie. C’est un drame aux acteurs innombrables