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avec cette couronne de roi qui devient aujourd’hui, sur la tête d’un de ses héritiers, la couronne d’Italie.

Ainsi la duchesse de Bourgogne se trouvait être le gage aimable d’un rapprochement momentané, non d’une alliance durable. Elle restait avec sa gentillesse et sa bonne humeur, tandis que la politique suivait son cours et allait à la guerre. Il en résultait sans doute pour elle une épreuve délicate au moment de la rupture. Elle défendit d’abord son père contre tout soupçon de défection ; mais enfin il fallait bien se rendre. Qu’on imagine ce que pouvait être sa situation à la cour de Versailles, lorsque le duc de Vendôme, qui commandait les armées en Italie, recevait l’ordre de retenir prisonnières les troupes du duc de Savoie, et que Victor-Amédée à son tour faisait arrêter par représailles l’ambassadeur de France Philippeaux. Elle traversa heureusement cette épreuve. Le roi avait le ménagement délicat de ne rien dire et de ne laisser rien dire du duc de Savoie devant elle. À son tour, elle gardait un silence éloquent et habile. Au fond, qu’en pensait-elle, et où était son cœur ? Elle avait un fier sentiment de la gloire de son père ; elle gardait pour son pays natal un attachement qui étincelait, selon le mot de Saint-Simon, et jamais elle ne versa autant de larmes pour tous les malheurs de la famille royale de France qu’elle en versa d’émotion et de joie à la naissance d’un prince héritier de la couronne de Savoie. Le cri du sang jaillissait en elle. Bien que toute Française, elle ne pouvait suivre que d’un cœur singulièrement partagé les chances de la guerre. Alla-t-elle plus loin ? Profita-t-elle de ses familiarités avec le roi pour lire dans ses papiers et transmettre à son père les secrets de la guerre et de la politique ? On l’a cru, on l’a dit ; un mot de Louis XIV le donnerait à entendre. « La petite coquine nous trompait, » dit-il en ouvrant une cassette à sa mort ; mais peut-être s’agissait-il de toute autre chose que des secrets de la politique et de la guerre.

La brillante princesse n’en restait pas moins en ces années la reine capricieuse et charmante de la cour, la folâtre enfant qui animait tout. La duchesse de Bourgogne est la fée lumineuse de ce déclin morose, disais-je, comme Madame, duchesse d’Orléans, représente le moment de jeunesse du règne, de 1661 à 1670. Chez l’une et l’autre, il y a le don de plaire et de répandre la vie autour d’elles. Seulement à je ne sais quelle grâce supérieure madame Henriette joignait les goûts de l’esprit ; elle était la protectrice sympathique de Molière et confiait le soin de raconter son histoire et ses faiblesses à Mme de La Fayette ; elle aimait les conversations avec Turenne et le duc de La Rochefoucauld. La jeune duchesse de Bourgogne avait peut-être moins de ces goûts élevés. Si elle n’eut